Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/72

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et elle n’avait pas songé que, dans une époque de malheur, comme la nôtre, il fallait tout sacrifier pour la patrie !

Je fis mon petit paquet à la hâte et m’armant de courage, je vins près d’elle.

Mes traits étaient bien contractés, car elle vit aussitôt qu’il y avait quelque chose en l’air ; elle me regarda longuement, de son grand œil triste, sans parler : elle avait compris !

« Mère, lui dis-je, il faut que j’aille à Thionville. »

Elle s’affaissa sur une chaise et se mit à sangloter. Je pris sa tête dans mes mains pour lui baiser le front.

« Il le faut, car tu rougirais de ton fils !

— Mon Dieu, s’écria-t-elle, en se levant toute fiévreuse, quand donc tous mes maux seront-ils finis ? J’avais cru mon enfant perdu, je l’avais retrouvé, et aujourd’hui je vais le perdre encore, peut-être pour toujours ! Ô Christian, laisse-moi aller avec toi, au moins je te verrai souvent, je te soignerai, si tu es malade, je mourrai avec toi, si tu es tué ! Oui, je veux t’accompagner : près de toi, je ne craindrai rien.

— Viens chez M. Frank, il nous donnera conseil. »

Nous sortîmes pour aller au moulin : j’espérais que Wilhelmine et son père calmeraient ma mère et la décideraient plus facilement à rester.

« Vous êtes matinals aujourd’hui, nous dit le meunier. Quoi de nouveau ?

— Je viens vous dire au revoir, car je vais partir pour Thionville et tâcher de servir dans l’armée qui s’y trouve.

— Tu es un brave, s’écria le meunier, en me prenant la main, et je t’en estime davantage. Mais je vois que cela fend le cœur à ta pauvre mère… Allons, madame Pfeffel, du courage ! Il ne sera pas loin de nous, à trois kilomètres ! Nous pourrons avoir de ses nouvelles quelquefois et il sortira peut-être de notre côté ! D’ailleurs qui dit que les Prussiens