Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/84

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ment ! À donner une victime de plus aux Allemands ! Mais j’ai fait mon devoir et c’est là ma seule consolation au milieu de tant de souffrances !

Telles étaient mes pensées, et je restais attaché au sol, malgré les cris des soldats, qui hurlaient :

« Forwerts, forwerts ! En avant, en avant ! »

On nous dispersa tous en Allemagne : je fus envoyé à Coblentz, avec quelques-uns de mes compatriotes. Là, enfermés dans de noires et froides baraques, au fort de Pétersberg, nous passions la journée à causer de la France, du village et de la guerre.

Pour moi, à peine arrivé, je me fournis de papier et d’encre pour écrire à ma mère et à mes chers amis de Daspich.

Je remis cette lettre au vaguemestre :


Coblentz, fort de Pétersberg, 30 nov. 70.

  Ma chère mère,

« Je viens d’arriver à Coblentz, pour y rester comme prisonnier de guerre. Ma première pensée et ma première occupation ont été de t’écrire pour te rassurer sur ma santé.

Elle est aussi bonne que possible.

Je t’en prie, ne te fais plus de chagrin, je crains trop que ta santé ne s’affaiblisse : Cette pensée me rendrait malade moi-même.

Wilhelmine et son père t’ont raconté comment j’avais été emmené par les Prussiens, au moment où nous formions le projet de partir à Daspich.

C’est notre dernière épreuve, va, ma bonne mère, et avant peu, je l’espère, ton Christian sera près de toi.

Nous ne sommes pas trop loin, ici, de notre pays. Nous nous trouvons campés dans un fort, à la pointe formée par la jonction de la Moselle et du Rhin. On