Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/98

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J’avais demandé à Magdeleine si ma mère avait reçu quelque lettre ; elle ne savait rien. Dans le village, on n’avait reçu aucune nouvelle de la résidence de M. Frank et le moulin était occupé par les Prussiens.


XXI

Je songeais à mettre ordre à mes affaires et à quitter le pays pour tâcher de retrouver la trace de mes pauvres amis, lorsqu’un soir du mois de mars, pendant que, tristement assis devant le feu, je rêvais aux moyens de réussir dans mon dessein, quelqu’un frappa doucement à la porte.

Magdeleine dormait déjà dans sa chambre, il était tard : aussi fus-je étonné de cette visite.

J’allai ouvrir et un homme parut, enveloppé dans un long manteau et ayant un gros chapeau sur les yeux.

« Que voulez-vous ? demandai-je.

— C’est moi, Christian, ton pauvre père Frank. »

Jugez de ma surprise. Je fis bien vite entrer le brave meunier, et je fermai la porte à double tour. Il ôta son manteau et son chapeau et je le reconnus, malgré le changement de sa figure. Il était bien maigri et ridé.

Nous nous embrassâmes tendrement, et je le fis asseoir près du feu.

« Tu es donc revenu, mon bon Christian ? Et ta mère, elle dort, sans doute ? »

Ce souvenir, ces paroles me firent sangloter. Je pris les mains du père Frank et je les lui serrai fortement.

« Elle est morte, monsieur Frank !

— Morte !… Et je n’ai pas pu lui dire adieu !