Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/144

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Les pieux des clôtures faisaient des barres noires sur le sol blanc baigné de pâle lumière ; les troncs des bouleaux qui se détachaient sur la lisière du bois sombre semblaient les squelettes des créatures vivantes que le froid de la terre aurait pénétrées et frappées de mort ; mais la nuit glacée était plus solennelle que terrible.

— Avec des chemins de même nous ne serons pas les seuls forcés de rester chez nous à soir, fit la mère Chapdelaine. Et pourtant y a-t-il rien de plus beau que la messe de minuit à Saint-Cœur-de-Marie, avec Yvonne Boilly à l’harmonium, et Pacifique Simard qui chante le latin si bellement !

Elle se faisait scrupule de rien dire qui pût ressembler à une plainte ou à un reproche, une nuit comme celle-là, mais malgré elle ses paroles et sa voix déploraient également leur éloignement et leur solitude.

Son mari devina ses regrets, et touché lui aussi par la ferveur du soir sacré, il commença à s’accuser lui-même.

— C’est bien vrai, Laura, que tu aurais fait une vie plus heureuse avec un autre homme que moi, qui serait resté sur une belle terre, près des villages.

— Non, Samuel ; le bon Dieu fait bien tout ce qu’il fait. Je me lamente… Comme de raison je me lamente. Qui est-ce qui ne se