Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/168

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min, en garçon d’expérience qui a toujours eu le bois pour patrie. Mais ses provisions sont presque épuisées, le froid cruel le torture encore ; il baisse la tête, serre les dents et se bat avec l’hiver meurtrier, faisant appel aux ressources de sa force et de son grand courage. Il songe à la route à suivre et à la distance, calcule ses chances de survivre, et par éclairs pense aussi à la maison bien close et chaude où tous seront contents de le revoir ; à Maria qui saura ce qu’il a risqué pour elle et lèvera enfin sur lui ses yeux honnêtes pleins d’amour.

Peut-être est-il tombé pour la dernière fois tout près du salut, à quelques arpents seulement d’une maison ou d’un chantier. C’est souvent ainsi que cela arrive. Le froid assassin et ses acolytes se sont jetés sur lui comme sur une proie ; ils ont raidi pour toujours ses membres forts, couvert de neige le beau visage franc, fermé ses yeux hardis sans pitié ni douceur ; fait un bloc glacé de son corps vivant… Maria n’a plus de larmes ; mais elle frissonne et tremble ainsi qu’il a dû trembler et frissonner, lui, avant que l’inconscience miséricordieuse vienne ; et elle se serre contre le poêle avec une grimace d’horreur et de compassion comme s’il était en son pouvoir de le réchauffer aussi et de défendre sa chère vie contre les meurtriers.

Oh ! Jésus-Christ, qui tendais les bras aux