Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/252

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connue douce et patiente, et qui n’avait jamais donné une taloche à Télesphore sans le prendre ensuite sur ses genoux pour le consoler, pleurant avec lui, et disant que de battre un enfant, il y avait de quoi lui briser le cœur.

La courte averse de printemps était déjà finie ; la lune se montrait à travers les nuages comme un visage curieux venant voir ce qui restait encore de la neige de l’hiver après cette première pluie. Le sol était toujours d’une blancheur uniforme ; le silence profond de la nuit annonçait que bien des jours encore s’écouleraient avant qu’on entendît de nouveau le tonnerre lointain des grandes chutes ; mais la brise tiède chuchotait des encouragements et des promesses.

Samuel Chapdelaine se tut quelque temps, la tête penchée, les mains sur ses genoux, se souvenant du passé et des dures années pourtant pleines d’espérance. Quand il recommença à parler, ce fut d’une voix hésitante, avec une sorte d’humilité mélancolique.

— À Normandin, et à Mistassini, et dans les autres places où nous avons passé, j’ai toujours travaillé fort ; personne ne peut rien dire à l’encontre. J’ai clairé bien des arpents de bois, et bâti des maisons et des granges, en me disant toutes les fois qu’un jour viendrait où nous aurions une belle terre, et où ta mère pourrait vivre comme les femmes des vieilles paroisses