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V
PRÉFACE

était l’auteur, que cet auteur venait de France. Car si le style révèle l’homme, il révèle aussi bien le pays, mal gré que nous ayons à le constater.

Brunetière n’a pas indiqué la bonne écriture dans sa recette du roman naturaliste, parce que cette première exigence va de soi. Il importe cependant de rappeler chez nous qu’elle est réellement la première de ces conditions essentielles : décrire les moindres détails caractéristiques du tableau, et exprimer dans ses nuances la pensée des personnages qui s’y meuvent. Les plus brillantes carrières de romanciers ne se sont pas toujours achevées sans accidents de syntaxe ou de lexicologie ; mais cela n’établit nullement qu’il soit indifférent d’ignorer ou de méconnaître la langue, le style, la composition littéraire et l’esthétique pour prétendre à l’honneur d’imposer une œuvre à la littérature de son pays ou seulement de présenter un roman aux gens bien nés.

Il ne manque pas d’auteurs pour assigner au roman les fonctions les plus contestables. Les saboteurs du genre, cependant, ne sont pas encore parvenus à empêcher ce genre d’être tout à fait littéraire en soi. Aussi nos jeunes écrivains ne doivent-ils s’y adonner que bien résolus à y mettre tout l’effort intellectuel et artistique dont ils sont capables. Un article de journal est pressant et se rédige parfois trop coulamment ; la collaboration à une revue est d’actualité et s’excuse ainsi de n’avoir pas reçu tout le soin désirable. Mais un auteur ne trouvera jamais de recevables prétextes pour publier un roman avant que d’y avoir mis toute la mesure de son talent. Surtout chez nous, cette forme du roman ne se justifie qu’en tant qu’elle montre un certain degré de perfectionnement intellectuel.

Notre Jean Rivard est réputé le roman de nos colons défricheurs et occupe une place d’honneur dans notre panthéon littéraire. Mais Gérin-Lajoie ne s’est guère soucié de littérature en l’écrivant. Il s’est plutôt préoccupé de publier une œuvre sociale, d’étudier les nombreux problèmes qui entravent la carrière du colon canadien-français ; son livre ne s’entache de littérature que par de rapides esquisses de la vie forestière. Au reste, M. l’abbé Camille Roy s’est prononcé là-dessus dans son Histoire de notre littérature : « On sait que ce n’est pas un roman ordinaire que celui de Jean Rivard, et que, en vérité, ce n’est pas un roman du tout. C’est l’exposé vivant et pratique d’une thèse