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que la perfection ne dépend pas de la grandeur. Les habitants de la terre sont d’autant plus parfaits qu’ils approchent plus de l’idéal qui est conforme à leur nature ; mais il ne dit pas que cet idéal est celui qui conviendrait aussi aux habitants des autres corps célestes. L’homme ne tend pas à une nature autre, il ne tend qu’à perfectionner la nature qu’il a. La caducité qui règne sur terre ne peut non plus prouver son imperfection, car rien n’est absolument périssable. La forme particulière à l’être, décomposée en ses éléments, cesse seule. Ces processus de décomposition pourraient tout aussi bien se produire sur d’autres astres que sur la terre, car il faut bien croire qu’ils sont soumis tout autant que la terre aux influences extérieures15. Cette théorie porta au système du monde aristotélique-médiéval un coup décisif. La certitude, qui était la clef de voûte du système, était détruite. La réflexion avait soulevé le globe universel de son fondement et lui avait communiqué un mouvement que l’on ne pouvait plus arrêter. En même temps cessait à l’intérieur du système l’opposition saillante entre le ciel et la terre ; la possibilité était émise que les mêmes lois et les mêmes rapports fussent valables dans les deux régions. Une contribution importante était ainsi faite à la nouvelle conception du monde, qui provenait du fond du système du profond penseur. Si les anciens n’ont pas été jusqu’à la théorie de la relativité du mouvement, cela tient, dit de Cusa, à ce qu’ils manquaient de la docta ignorantia. Ils ne voyaient pas que toutes nos idées ne sont valables qu’à certaines conditions et qu’elles disparaissent avec elles. Ainsi la pensée, qui d’après de Cusa rend la connaissance de Dieu impossible, permet de reconnaître que le système du monde ne peut être ni aussi borné ni aussi immobile qu’on n’avait cru jusqu’alors.

11. — Bernardino Telesio

La philosophie du profond penseur qu’était le cardinal est la plus grande œuvre de réflexion qu’ait produite le xve siècle. Elle prépara une nouvelle conception du monde en détruisant la rigidité où étaient tombés les concepts sous la domination de la scolastique. Mais ce ne fut pas seulement du laboratoire inté-