Page:Haraucourt - La Légende des sexes, poëmes hystériques, 1882.djvu/140

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Oh rage ! T’avoir là, béante, devant moi,
Sans frotter à tes nerfs mes nerfs que je renie,
Moi qui voudrais t’emplir jusqu’à mourir de toi,
Et râler sur tes dents mon sanglot d’agonie !

Sentir ton ventre chaud houler comme une mer
Qui dans un golfe blond meurt sous sa mousse blonde,
Sans rouler ma fureur dans le varech amer
Qui s’imprégna des sels et des vapeurs de l’onde !

Voir ta lascivité qui m’ouvre le chemin,
Et, voyageur perdu sous les bois qu’il traverse,
Ne pas pousser ma route, un bâton à la main,
Dans les ravins glissants détrempés par l’averse !

Ah, que je vais t’aimer, quand je ne t’aurai plus !
Seul, raidissant ma force impérieuse et dure,
Je noierai mon lit veuf de regrets superflus,
Pour me punir encor des douleurs que j’endure.

Ton souvenir vengeur harcèlera mes sens ;
Mes bras t’appelleront sous ma luxure avide !
— Telle une cassolette où, trop tard, les encens
Dans un temple désert brûlent sur l’autel vide.