Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
LA PEUR

de moi, et les paroles, sans que je puisse les retenir, et sans d’ailleurs que je l’essaie. C’est mon démon qui se démène, comme disaient les philosophes de jadis ; c’est ma bête qui sursaute, comme disent les savants d’aujourd’hui. Je deviens une brute, alors. Mes colères me rendent fou, et, le pire, c’est qu’elles vont croissant et qu’au lieu de se fatiguer elles s’exaspèrent par leur durée. Quand une idée se met à tourner dans ma tête, elle gire, gire, comme les chevaux de bois à la foire, mais toujours plus vite, toujours plus fort, et le manège s’emballe jusqu’à ce que tout craque et casse.

Assurément, l’existence n’a pas été drôle, pour ma femme ! Peut-être ne m’a-t-elle trompé qu’à cause de cela ? Que j’aie eu des torts, je n’en disconviens point. Mais qu’importe, maintenant ? J’étais jaloux. Je l’aimais trop. Elle était admirablement belle, et j’adorais son corps. Je l’aimais avec fureur. J’aurais voulu mourir de l’aimer sans répit. Lorsque nous nous querellions, — ce qui arrivait chaque semaine, — et quand elle me voyait à bout, levant le poing pour l’assommer, elle n’avait qu’à rire, avec ses dents