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LA BOMBE

monter en torsades les fumées de ma cigarette, et je combinais l’avenir.

Depuis trois semaines bientôt, je vivais à Gérone, et je m’y serais ennuyé fort, en compagnie de ce niquedouille, si je n’avais pris à tâche de le travailler minutieusement, de le confesser, de m’instruire : tour à tour, et sans jamais avoir l’air d’attacher aucune importance à quoi que ce fut, j’obtenais de lui tous les renseignements qui m’étaient nécessaires, sur l’assassin, sa résidence actuelle, ses habitudes, ses goûts : Émile, dit Ballade (on ne lui connaissait pas d’autre nom dans le monde de l’anarchie internationale), était bien d’origine française, mais citoyen de toutes les capitales : il se déplaçait sans cesse, évidemment par prudence, et probablement aussi par un besoin inné d’agitation ; peut-être même éprouvait-il une volupté spéciale à passer les frontières, par protestation contre l’idée de patrie. Ne souriez point, vous qui n’avez pas étudié, de tout près, la