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les demi-civilisés

des narcisses. Toute ma chambre en fut embaumée. Au milieu du bouquet, ces mots écrits à la machine, sans aucun nom : « À une âme que je sais solitaire et désolée, en cet anniversaire… » Je regardai le calendrier : c’était ma fête de naissance.

Par une nuit du début de ce siècle, ma mère me mit au monde. J’arrivai sur notre infime planète sans y rien ajouter et j’en partirai sans en rien enlever. Quel phénomène que celui de la naissance et de la mort ! C’est dommage que personne ne puisse avoir le souvenir de l’instant où il sort du néant et de celui où il y rentre. Les deux bouts de notre durée se rencontrent et se renferment dans un impitoyable silence. Ce sont les deux moments les plus palpitants, les plus formidables de l’existence humaine, et ils se dérobent à toute conscience. L’homme y perd la sensation suprême de l’être.

Quelle femme pouvait bien m’envoyer des fleurs ? Me posant cette question, je ressuscitais à l’espoir, un espoir qui m’effrayait parce qu’il marquait en moi un commencement de dépravation. J’énumérais celles que j’avais connues récemment. Et voici que me revenait une conversation engagée avec Françoise Dufort, au cours d’une danse. Je me souvenais bien : cette femme avait les cheveux châtains et de grands yeux bruns. Elle m’avait dit, je ne sais à quel propos :

— Vous voulez m’épingler sur la planche aux papillons. Ce n’est pas bien… Avez-vous visité un mu-