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les demi-civilisés

C’est là que j’appris mon métier de chasseur en prenant mon premier lièvre, une bête splendide que je portais sur mon dos comme un trophée. C’était le beau temps. Le monde était si bon, la nature, si douce !

— Comme c’est beau, comme c’est grand, comme c’est calme, tout ça ! disait Lucien.

En bas, dans la vallée, sur un plateau, nous apercevions le village planté d’une église dont le clocher droit et fin faisait sentinelle. Les maisons s’étageaient en amphithéâtre autour des eaux vastes. On eût dit une grande scène, où un auditoire de maisons, de forêts, de vivants et de morts contemplaient la pièce éternellement mouvante de la mer. Le fleuve, large comme un golfe, éclatait de lumière. Çà et là, des voiles de goélettes, éblouissantes. Tout le long du rivage, des bouquets d’arbres. Des épinettes vertes voisinaient avec des bouleaux dorés par l’automne, des cerisiers couleur pourpre, des érables écarlates avec des taches de violet. Le rouge, épandu par plaques violentes sur toute cette terre, donnait au sol l’apparence d’un géant blessé qui aurait perdu son sang par les quatre membres. Ne dirait-on pas que l’automne, en faisant jaillir cette couleur de tous les pores de notre sol, l’a soumis à une cruelle et impitoyable flagellation ?

— J’ai été élevé dans cet âpre pays, dis-je, où la nature sauvage, pure et forte, inspire aux hommes qu’elle nourrit une répulsion pour la servitude. J’ai sucé aux mamelles de cette terre mes désirs d’indépendance et de