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neutralité. Journaliste, il reste tel qu’il s’est montré jusque là, avec sa froide modération, une sorte d’indifférence mêlée de bienveillance et d’incrédulité, tendant la main à tous et ne s’engageant avec personne. Jusque-là le scepticisme avait été un moyen commode de secouer toute autorité, de voyager plus à son aise, d’attaquer et de confondre les systèmes les plus opposés. En matière d’art, d’éloquence et de poésie, sa critique, tout en restant négative, prend un autre caractère. Nous ne trouvons plus là le contradicteur éternel, le questionneur fâcheux, qui mettait aux abois les docteurs de l’Église et de l’École. Ce disputeur naguère si ingénieux à soulever les difficultés, à signaler les endroits faibles, lorsqu’il s’agissait d’ébranler un système philosophique ou de dépister une tradition suspecte, affecte une réserve, une discrétion, dont on s’étonne. Cela tient à la nature même de Bayle, et aux habitudes de son esprit. « Il faut de l’âme, dit Vauvenargues, pour avoir du goût. » L’âme chez le critique, comme chez l’artiste, n’est autre chose que la passion, ou du moins le sens du beau. Or c’est là précisément ce qui manque à Bayle. La passion, elle est morte dans son cœur depuis longtemps ; le beau absolu n’existe guère plus pour lui dans l’art que le vrai en philosophie et en histoire. La perfection est, à ses yeux, relative, variable ; chaque peuple, chaque siècle est libre de l’entendre à sa façon. « Les an-