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n’avait rien de semblable. De passion, aucune ; l’équilibre même, une parfaite idée de la profonde bizarrerie du cœur et de l’esprit humain, et que tout est possible, et que rien n’est sûr. De style, il en avait sans s’en douter, sans y viser, sans se tourmenter à la lutte comme Courier, La Bruyère, ou Montaigne lui-même ; il en avait suffisamment, malgré ses longueurs et ses parenthèses, grâce à ses expressions charmantes et de source. Enfin il n’avait pas d’art, de poésie, par devers lui. Il n’a, je crois, jamais fait un vers français dans sa jeunesse, de même qu’il n’a jamais rêvé aux champs, ce qui n’était guère de son temps encore, ou qu’il n’a jamais été amoureux, passionnément amoureux d’une femme, ce qui est davantage de tous les temps. Tout son art est critique, et consiste, pour les ouvrages où il se déguise, à disposer mille petites circonstances, à assortir mille petites adresses, afin de mieux divertir le lecteur et de lui colorer la fiction.


En résumé, Bayle est resté, dans l’opinion générale, comme un des plus illustres représentants de la critique littéraire ; avant Voltaire, c’est presque le seul nom qu’on se plaise à citer. Il dut surtout cette réputation là ses Nouvelles de la République des Lettres. Pendant trois ans il fut comme le rapporteur universel de l’Europe, entretenant chaque