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tâchent même de le faire croire aux autres. Mais si c’est moi réellement que l’auteur de la comédie a eu en vue, j’en conclus que ce n’est pas M. de Voltaire qui a fait ce drame. Ce grand poète, qui a beaucoup de génie, surtout celui de l’invention, ne se serait pas abaissé jusqu’à être le plagiaire de M. Piron, qui longtemps avant l’Écossaise m’a ingénieusement appelé Frélon. Il est vrai que Piron avait lui-même dérobé ce bon mot, cette idée charmante, cet effort d’esprit incroyable, à M. Chevrier, auteur infiniment plaisant. De plus, M. de Voltaire aurait-il jamais osé traiter quelqu’un de fripon ? Il connaît les égards, il sait trop ce qu’il se doit à lui-même et ce qu’il doit aux autres. Si je m’arrêtais à ce tas d’ordures, j’aurais peut-être l’air d’y être sensible, et je vous proteste que je m’en réjouis plus que mes ennemis mêmes. Je suis accoutumé depuis longtemps aux petits ressentiments des écrivains. Il faut que je vous apprenne, à ce sujet, une anecdote vraie. Un auteur français très-célèbre, qui s’était retiré dans une cour d’Allemagne, fit un ouvrage dont il ne me fut pas possible de dire beaucoup de bien. Ma critique blessa son amour-propre. Un jour on lui demanda des nouvelles de France ; il répondit qu’il n’en savait point. Par hasard on vint à parler de moi : « Ah ! ce pauvre Fréron, s’écria-t-il d’un air touché, il est condamné aux galères ; il est parti ces jours derniers avec la chaîne : on me l’a mandé de Paris. » On interrogea l’auteur sur les raisons qui m’avaient attiré ce malheur ; on le pria de montrer la lettre dans laquelle on lui apprenait cette étrange nouvelle. Il répondit qu’on ne lui avait appris que le fait, sans en expliquer la cause, et qu’il avait déchiré la lettre. On vit tout d’un coup que ce n’était qu’une gentillesse d’esprit. Je ne pus m’empêcher d’en rire moi-même, lorsque quelques amis m’écrivirent cette heureuse saillie.


On ne saurait porter plus loin le stoïcisme. Avons-nous besoin de dire que cet « auteur français très-célèbre » n’était autre que Voltaire, qui, suivant l’expression d’un biographe, répéta si souvent