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mémorables batailles dont l’histoire littéraire fasse mention. Il s’agissait du Caffé ou de l’Écossaise qu’on représentait pour la première fois. Les gens de goût voulaient que cette pièce fût sifflée ; les philosophes s’étaient engagés à la faire applaudir.

L’avant-garde de ces derniers, composée de tous les rimailleurs et prosailleurs ridiculisés dans l’Année littéraire, était conduite par une espèce de savetier appelé Blaise, qui faisait le Diable à quatre[1]. Le redoutable Dortidius[2] était au centre de l’armée ; on l’avait élu général d’une voix unanime. Son visage était brûlant, ses regards furieux, sa tête échevelée, tous ses sens agités, comme ils le sont lorsque, dominé par son divin enthousiasme, il rend ses oracles sur le trépied philosophique. Le centre renfermait l’élite des troupes, c’est-à-dire tous ceux qui travaillaient à ce grand dictionnaire dont la suspension fait gémir l’Europe, les typographes qui l’ont imprimé, les libraires qui le vendent et leurs garçons de boutique[3]. L’aile droite était commandée par un Prophète de Boëhmischbroda[4], le Calchas de l’armée, qui avait prédit le succès du combat. Il avait sous ses ordres deux régiments de clercs de procureurs et d’écrivains sous les charniers. La gauche, formée de deux brigades d’apprentis chirurgiens et perruquiers, avait pour chef le pesant La M…[5], cet usurpateur du petit royaume d’Angola. Un bataillon d’ergoteurs irlandais, charmés d’obéir à l’abbé Micromégan[6] leur compatriote, faisait l’arrière-garde ; ils avaient juré d’user jusqu’au dernier lobe de leurs poumons pour défendre la charmante Écossaise, cette nouvelle Hélène, qui trouble la littérature et la philosophie. Il y

  1. Sedaine, auteur d’un opéra comique connu sous ce titre.
  2. Diderot.
  3. Ceci est un coup de patte à Voltaire, qui avait laissé échapper ces mots prétentieux à propos des persécutions contre l’Encyclopédie, encore une des affaires, et des plus grosses, de l’administration de Malesherbes.
  4. Grimm, qui avait fait une brochure sous ce titre.
  5. Le chevalier de La Morlière, qui s’attribuait, faussement pensait-on, la paternité d’un roman ayant pour titre : Angola. Dans un article postérieur, Fréron, reconnaît qu’il « s’est trompé ou a été trompé sur ce point : « M. de La M… ne s’est point trouvé à ce fameux combat. Mais quel était donc ce commandant de l’aile gauche ? C’est un point historique qui me paraît mériter la peine d’être éclairci. »
  6. Le chevalier de Mehégan, qui avait eu maille à partir avec Fréron.