Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 2.djvu/431

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Représenter aux philosophes que ce journal est la ressource d’une famille honnête et peu fortunée ; qu’à ce titre seul, si l’humanité dont ils parlent tant, était, en effet, la règle de leur conduite, ils devraient le ménager ; que, quels qu’aient été les torts du père envers leurs coryphées et ses saillies contre M. de Voltaire, ses enfants en sont innocents ; qu’une des vertus les plus recommandées par la vraie philosophie, même chez les payens, c’est le pardon des injures ; que, si M. Fréron fils, pour expier le malheur de porter son nom, ne s’est pas fait l’adulateur des patriciens de l’Encyclopédie, ce n’est qu’avec des raisons qu’il les a combattus, et que, si cet usage qu’il a fait de ses talents n’en est pas une pour eux de les vanter, ce n’en est pas une non plus de chercher à les déprimer, de tâcher à couvrir sa jeunesse d’un opprobre capable de la décourager, de la priver même des ressources nécessaires pour se soutenir ; leur prêcher cette morale, ce serait me rendre ridicule à leurs yeux.

Mais pour être équitable autant qu’ils sont injustes et injurieux, j’oserai dire que ce journal, décrié par eux avec tant d’acharnement, est non seulement le mieux écrit de toutes nos feuilles périodiques actuelles, sans exception, mais que très-peu de livres du jour peuvent lui être comparés ; que c’est le seul asile qui reste au bon goût et peut-être aux vrais principes dans plus d’un genre ; que l’associé du jeune titulaire, appelé par le libelle un bon pédant stupidement orthodoxe, est un homme d’un vrai mérite, d’une érudition rare, très-supérieur à ce que la tourbe philosophique compte aujourd’hui de génies parmi ses chefs[1] ; que, sans les entraves dont on l’accable, il donnerait à ses talents un essor encore plus élevé, plus redoutable à la secte qui prodigue les grands et les petits moyens pour l’enchaîner : voilà ce qu’il faut apprendre au public. Les philosophes font ce qu’ils

  1. Le déclamateur satirique l’appelle Grosier ; cela n’est pas juste. M. l’abbé Grosier a, en effet, travaillé quelque temps à l’Année littéraire, mais depuis longtemps il s’en est retiré. C’est aujourd’hui l’abbé Royou qui le remplace. Celui-ci est professeur de l’Université, comme l’ont été MM. Lebatteux, Thomas, Delille, tous académiciens ; il n’est pas plus pédant qu’eux, pas moins orthodoxe, et certainement aussi peu stupide. (Note de Linguel.)