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LA FILLE AUX POISONS

Giovanni, j’ai grandi à l’ombre de cette plante en me nourrissant pour ainsi dire de ses émanations. Elle est ma sœur et je l’aime d’une affection toute humaine, car, hélas ? tu t’en es aperçu, il y a un secret…

Ici Giovanni jeta sur la jeune fille un regard si sombre qu’elle s’arrêta toute tremblante, mais rougissant de ses craintes elle poursuivit :

— Oui, sur moi régnait un sort terrible, la fatale science de mon père m’avait séparée du reste du monde ; jusqu’au moment où le ciel l’a envoyé, mon Giovanni, ta Béatrix était bien isolée.

— Trouvez-vous ce sort bien affreux ? demanda le jeune homme, en attachant ses regards sur elle.

— Ce n’est que depuis peu que j’en ai compris toute l’horreur, répondit-elle tendrement, car mon cœur était plongé dans une sorte d’engourdissement qui, pour moi, était le calme.

La fureur de Giovanni, longtemps contenue, jaillit comme un éclair du sein de la nue.

— Fille maudite, s’écria-t-il avec colère, fallait-il, parce que la solitude te pesait, me séparer à mon tour de la société de mes semblables pour m’entraîner dans l’horrible milieu où tu vivais !

— Oh ! Giovanni ! fit Béatrix en tournant vers lui ses grands yeux étonnés, car elle ne comprenait point ces paroles dont la violence l’avait terrifiée.

— Oui, créature empestée ! répéta Giovanni hors de lui-même, voilà ce que tu as fait. Tu m’as flétri, tu as infiltré dans mes veines le poison dont tu t’es nourrie pour faire de moi un être aussi hideux que toi, horrible monstruosité !