LXIV
Le cœur éteint, et la paupière
Fermée aux doux rayons du jour.
Le tombeau sous la froide pierre
M’enfermait en son noir séjour.
—
Il ne me souvient plus quel nombre
De nuits j’avais pu sommeiller,
Quand dans le silence et dans l’ombre
On est venu me réveiller.
—
« — Henri ! pourquoi dormir encore ?
Tous les morts sont ressuscités ;
Voici briller la grande aurore
Des célestes félicités. »
—
« — À quoi bon me lever, ma chère,
Vers la douce clarté des cieux ?
Des pleurs qu’à versés ma paupière,
L’amertume a bridé mes yeux. »
—
« — Grâce aux doux baisers que j’y presse,
Tes yeux ranimés, cher amant,
Verront les élus pleins d’ivresse,
Monter vers le bleu firmament. »
—
« — Autrefois, plus froid que la glace,
Un mot de toi frappa mon cœur ;
Je ne puis me lever, la place
Saigne encor sous le trait moqueur,
—
« — Viens, laisse ma main caressante,
Se poser sur ton cœur chéri ;
De ma parole si blessante
Aussitôt il sera guéri. »
—
— « Le jour où tu me fus ravie,
Ne pouvant supporter l’affront,
J’ai fait passer, las de ma vie,
Une balle à travers mon front. »
—
— « Mes pleurs laveront ta blessure,
Et, pleines d’arôme vital,
Les boucles de ma chevelure
Viendront boucher le trou fatal. »
—
Sa voix, si suave et si tendre,
Suppliait mon cœur oppressé,
Que vers elle, sans plus attendre,
Les bras tendus, je me dressai.
—
Mais cet effort de ma blessure
Déchira le tissu caillé ;
À gros bouillons, par les fissures,
Mon sang jaillit… je m’éveillai.
LXV
Chants d’amour, tourments de mon âme,
Espoirs trompés, rêves en deuil,
La tombe est là qui vous réclame ;
— Que l’on m’apporte un grand cercueil !
—
Pour garder la relique sainte
Que j’y voudrais mettre à couvert,
Il faut qu’il ait plus vaste enceinte
Que le tombeau de Heidelberg.
—
En bois de forte résistance
Hâtez-vous de faire achever
Plus long que le pont de Mayence,
Un brancard pour le soulever.
—
Invitez à cette besogne
Douze Titans, frères d’airain
Du Saint-Christophe de Cologne,
Dans le grand dôme au bord du Rhin.
—
Ils descendront leur lourde charge
Dans la mer au gouffre béant :
Il faut une fosse aussi large
Pour couvrir le coffre géant.
—
Ce grand cercueil est nécessaire ;
Car, apprenez que sans retour
Dans sa nuit profonde il enserre
Et ma souffrance et mon amour !