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PŒUF.

pour lui… Et il ne serait pas caporal-sapeur… jamais ! … Et il ne reviendrait pas avec nous en France !… Et on le mettrait dans la terre… dès qu’on l’aurait fusillé !… sans sa hache, sans son tablier… auprès de Barrateau ! »

Je frissonnai, fus pris d’insanes frayeurs, tandis que s’étageait en mon âme immobilisée, panoramiquement, un blême cimetière où moutonnaient des tombes, au clair de lune ; puis, après y avoir promené l’adjudant mort et mon sapeur, après avoir fouillé son sol, tremblé de ses verdures, après avoir peuplé son ciel de zombis, ces revenants des contrées noires, ces écorchés troublants, munis d’ailes, — soudain, avec la versatilité dont l’enfance a le monopole, je me demandai : « Ah çà ! comment fusille-t-on ? » Je ne me le figurais point. « Était-ce un soldat qui tirait… ou plusieurs ? » Je me représentai le morceau de plaine herbue, broussailleuse, ceint d’un mur blanc, espèce de polygone où l’exécution aurait lieu ; mais mon imagination ne sut ni l’animer ni le dramatiser à son gré. « N’importe !… Brrr ! ça devait être fièrement drôle et affreux de regarder fusiller un homme !… pas Pœuf !… un autre !… Pan, pan, pan !… Lâchait-on le condamné ? se mettait-il à se sauver ? des gendarmes se lançaient-ils à sa poursuite ? le tuait-on comme un lapin ? — ou un officier quelconque