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pœuf.

Un instant, je voulus me prouver qu’on se trompait en l’accusant, que je rêvais les yeux ouverts, qu’il ne pouvait s’être institué meurtrier, en un tour de main, une demi-heure après m’avoir quitté, — j’apercevais encore sa face tranquille et j’entendais son dernier bonsoir ! — mais les paroles de mon père me revenant : « C’est ton ami Pœuf qui a tué Barrateau ! » je n’eus pas à douter longtemps. Mon ami Pœuf !… mon ami Pœuf ! Voilà qu’il était en prison, mon ami Pœuf ! Quelle mouche l’avait piqué ?… Qui diable l’avait incité à se conduire d’une façon pareille ?… Dans quel but ?… Pour quelle cause ?… Mon ami Pœuf !… M’était-il seulement permis de lui garder ce titre ? Quelque chose me soufflait : non ; tout mon être criait : oui ; mais ne sachant auquel croire, je m’enfiévrais de remords et de troubles vagues.

Plus je m’enfiévrais d’ailleurs, et plus je m’acharnais à deviner Pœuf, sans y parvenir. Il avait été si bon pour moi ! on l’avait proclamé si bon, jusqu’à son crime !

Il buvait ! Chacun le disait ivrogne, comme tous les brisquarts ; j’avais même entendu raconter plaisamment que, pénétré d’une prescription relative au règlement des manœuvres, — l’œil fixé au loin sur un objectif déterminé, avec, chemin faisant, des points de repère, — il réussissait à gagner sa chambrée,