Page:Henri IV - Lettres Missives - Tome1.djvu/109

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ritables. En ceste peur, monsieur le Duc, qui n’en avoit pas moings, me contoit les desseings qu’on luy faisoit ; et je luy dis les miens en la presence de Thoré. De là Voz Majestez allerent à Chantilly et puis à Sainct-Germain, où vinrent les nouvelles, qu’on avoit failli à prendre la Rochelle : et fut dict tout hault que si elle eust esté prinse, l’on eust mis prisonnier monsieur de Montmorency[1], et executé sur nous la mauvaise volonté qu’on nous porte. Voyant les grandes mesfiances que Voz Majestez avoient de nous s’accroistre tous les jours, et recevant beaucoup d’advertissemens tous nouveaulx, qu’on nous vouloit mesfaire, cela fut cause que monsieur le Duc se resolut, pour s’oster de ce danger et pour l’asseurance de sa vie, de s’en aller où je luy promis de l’accompaigner, et de là m’en aller en mon pays, tant pour ma seureté que pour donner ordre en Bearn et Navarre, où, pour mon absence, je ne suis nullement obey. Et lorsque nous estions, pour l’asseurance de nos vies, sur le poinct de nous absenter de la presence de Voz Majestez, advint que vous en fustes advertis et nous appelastes en vostre cabinet, où nous vous dismes tout ce que nous sçavions. Alors vous nous asseurastes de noz vies, et nous distes que le Roy y donneroit si bon ordre que nous n’aurions cy-apres occasion de nous plaindre.

Depuis, estans aux faulxbourgs Sainct-Honoré nous eusmes les mesmes alarmes qu’auparavant ; et disoit-on que nous serions menez prisonniers au bois de Vincennes. Alors le vicomte de Turenne arriva de la part où Vos Majestez l’avoient envoyé, lequel nous confirma les mesmes occasions de peur et de crainte, et nous mit devant les yeulx le danger où nous estions de noz vies. Qui fut cause que monsieur le Duc m’envoya dire par la Vergne[2] et Montaigu[3], qu’il estoit resolu de se retirer

  1. Au moment du procès de La Mole, François de Montmorency s’étant rendu de lui-même à la cour, où il était attiré par des prévenances, fut mis à la Bastille, et y resta plus d’un an.
  2. Serait-ce Jean-Jacques de la Vergne, seigneur de Saint-Leu, conseiller au parlement de Paris, puis conseiller du Roi en tous ses conseils, et maître des requêtes ordinaire de son hôtel ?
  3. Jean de Balzac, seigneur de Montaigu, fils de Thomas de Balzac, était chevalier de l’ordre du Roi, chambellan du duc d’Alençon, lieutenant de la compagnie du prince de Condé et surintendant de sa maison. Il mourut en 1581, à l’âge de trente-six ans.