Page:Henri IV - Lettres Missives - Tome1.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bellegarde, lequel m’ayant representé l’affection que me portés, m’a prevenu en la recherche que je voulois faire de vostre amitié, que je prise, honore et estime autant que de prince de ce monde[1]. Et estant si heureux qu’elle me soit acquise, je la conserveray avec toute la fidélité qui sçauroit jamais estre en mon pouvoir, et y joindray une sincere et mutuelle volonté pour vous obeir et servir en tout ce que verrez que vous seray utile, ne desirant rien plus que d’establir une parfaicte et indissoluble correspondance entre nous. [Ce] que, dans peu de jours, je vous feray cognoistre par ung gentilhomme qui ira exprés vous trouver et sera comme un gage de l’obligation que je vous ay[2]. Ce pendant Monsieur, le sr de Bellegarde, qui s’est dignement acquitté de sa charge, vous fera entendre le desir que j’ay que les conditions qu’il ma proposées soyent telment moderées que ma conscience, honneur et reputation soient conservées[3]. Cela resolu, je me tiendray bienheuré de vous faire pa-

  1. Cette lettre devait, selon toute probabilité, être la réponse à celle du duc de Savoie, que nous a conservée le précieux manuscrit de Tours, à la page 105. D’après ce que nous apprennent les Mémoires de Mornay, il paraît que Bellegarde, porteur de cette lettre, était chargé de demander en mariage Madame Catherine, sœur du roi de Navarre.

    AU ROY DE NAVARRE


    « Monsieur, J’envoye par devers Vostre Majesté le sr de Bellegarde, gentilhomme de ma chambre, present porteur, pour le faict qu’Elle daignera entendre par luy. Il vous représentera combien je me sens obligé de l’honneur et faveur qu’il vous a pleu me faire, et la cause qui m’a meu de retarder jusqu’à present son voyage.Je vous supplie bien humblement, Monsieur, de luy donner entiere creance et de faire estat asseuré qu’Elle n’aura jamais un plus fidele et affectionné parent et serviteur que moy, qui vis en espoir de vous en pouvoir rendre un jour quelque bonne preuve ; desirant cependant infiniment d’estre conservé en vostre bonne grace, ce que je cognoistray quand vous me ferez ce bien de me commander : et vous pourrez voir comme je vous obeiray et serviray promptement, et d’aussi bonne volonté qu’aprés vous avoir baisé bien humblement les mains, je supplie le Createur,
    Monsieur, qu’il doint à Vostre Majesté toute la grandeur et felicité que vous desire

    Votre bien humble et affectionné serviteur,


    EMMANUEL »


    Sur cette lettre était écrit: « Receue à Coutras, le 10e jour d’août 1582. »

  2. Ce fut M. de Clervant.
  3. Cela est nettement expliqué dans les instructions remises à Clervant au nom du roi de Navarre : « Mais sur ce que le sieur de Bellegarde lui auroit tenu propos, qu’il seroit requis, pour y parvenir, que madite dame sa sœur changeast sa religion, ne peut ledit seigneur Roy lui celer que cette condition lui a semblé dure et estrange, comme il ne doubte qu’elle semblera telle audit seigneur duc, quand il y aura un peu pensé. » En marge de cet endroit, Mornay, qui nous a conservé cette instruction, t. Ier de ses Mémoires, pages 100 et suiv. a mis : « Cette consideration achoppa le mariage. »
    Malgré les termes très-vagues dans lesquels se renferme de part et d’autre cette correspondance, la négociation secrète qui en était l’objet ne resta pas un mystèrepour la diplomatie étrangère. Busbec en transmet ainsi la nouvelle à l’empereur son maître, à la suite du récit de quelques troubles survenus en Écosse : « His deinde admiscentur fabulæ, ei regulo filiarum alterius nuptias pollicitum Hispaniarum regem, modo reginæ Angliæ moveret bellum ; quare offensum Sabaudum avertisse animum ab amicitia ejus regis, totumque ad Gallos transtulisse, eaque de causa ducturum uxorem, regis Navarræ sororem. » Augerii Gislenii Busbequii, Cæsarris apud regem Gallorum legati, epistolæ ad Rudolphum II imperatorem... anno 1582 et sequentibus, Parisiis, scriptæ. La Haye, Elzevir, 1633, in-24, p. 475.)