Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/572

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conducteur du courrier, il était parti tout seul, le cœur bien gros.

Longtemps avant l’aurore, pendant que tout le monde sommeillait, doucement il s’était glissé jusqu’au hangar pour dire un dernier adieu à Tramp. Et maintenant il était triste en faisant les cent pas sur le quai pendant que M. Harrison prenait les billets. Il se rappelait la douleur muette peinte dans les yeux bruns de son chien quand il l’avait regardé pour la dernière fois à la lueur vacillante d’une chandelle.

« Voici le train ; à l’heure juste ! Quelle merveille ! » s’écria le notaire, interrompant les méditations de Jock.

La petite gare était déserte. L’homme d’équipe, portant les bagages des voyageurs, les suivit jusqu’à un wagon de première classe.

Jock monta après le vieux monsieur, et, la portière fermée, se pencha au dehors pour donner un dernier coup d’œil au paysage, avant que le train ne se mît en marche. Soudain, interrogeant l’horizon, il poussa une exclamation qui attira M. Harrison près de lui.

Là-bas courait à travers champs, dans la direction de la gare, quelque chose de brun qui, bientôt, put être reconnu pour un chien. L’animal arrivait épuisé, haletant, la langue pendante.

Le train s’ébranlait, mais Tramp (car c’était lui) ne s’arrêta pas dans sa course folle. Déjà, il avait gagné la gare, et s’élançait vers le wagon à la portière duquel Jock se penchait dans une angoisse mortelle. Pendant ce temps, M. Harrison, ne comprenant rien à ce qui se passait, tirait l’enfant, d’une main ferme, par le bas de sa veste.

« Il va se tuer ! cria le petit garçon ; aidez-moi à ouvrir la portière.

— Un chien enragé ! » hurla l’homme d’équipe en se sauvant.

Le train gagnait en vitesse ; il était sorti de la gare. Jock, ayant enfin ouvert la portière, réussit à saisir le chien qui bondissait. Il l’attira dans le compartiment et se rejeta en arrière avec une telle violence que M. Harrison, cramponné à la veste, perdit l’équilibre et roula sur la banquette.

« Vous l’avez échappé belle, dit le vieux monsieur en s’efforçant de reprendre haleine, laissez-moi fermer la portière. »

Jock, assis par terre, serrait dans ses bras son favori qu’il venait de sauver. Quant à Tramp, il était tout haletant ; à son cou pendait encore un morceau de la corde qui l’avait attaché.

« Vous allez peut-être me dire à présent pourquoi vous vous êtes exposé à tomber du train et, ma foi, au risque de me donner une attaque d’apoplexie. Tout cela pour un chien si peu attrayant ! s’écria M. Harrison regardant sévèrement le couple qu’il avait devant lui, et s’épongeant la figure avec son grand mouchoir aux multiples couleurs.

— C’est mon chien, et il a couru après moi, parce qu’il m’aime. Regardez comme il a rongé la corde qui le retenait, répliqua Jock, serrant Tramp plus fortement encore. J’ai cru qu’il allait se tuer, ajouta-t-il d’une voix tremblante d’émotion.

— Bon, bon, cher petit, le voilà sauvé et sans blessure. Allons, il ne faut pas vous chagriner, s’écria son compagnon en adoucissant la voix. Il s’agit de décider ce que nous en ferons.

— Je l’emmènerai certainement. Je ne peux le renvoyer ; nous devenons compagnons inséparables.

— C’est convenu ! Je suis curieux de voir la figure de M. Grimshaw quand il verra arriver un pareil animal à ma remorque ; ou plutôt, réflexion faite, j’aimerais mieux ne pas la voir, soupira le vieux monsieur.

— Il n’aime donc pas les chiens ? demanda Jock.

— Je ne me rappelle pas en avoir jamais vu chez lui, pas plus qu’aucun enfant, d’ail-