Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/608

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nid d’aigle, aire abandonnée, et, au fond de cette sorte de loge creusée dans le roc, il venait d’entrevoir, immobile et pétrifié, une sorte de fantôme colossal, dont la blancheur spectrale se détachait sur le gris sombre du granit comme un tracé d’ivoire.

Le premier moment de stupeur passé, Gérard s’élança vers le creux, l’eut bientôt atteint et, quand il distingua plus clairement la nature de l’objet qu’il venait de découvrir, il demeura confondu.

C’était le squelette parfaitement intact et complet dans chacune de ses parties d’un oiseau de taille gigantesque. Le sternum puissant s’avançait, pareil à la carène d’un grand canot ; les moignons des ailes déployées semblaient prêts à embrasser l’espace ; les pattes énormes, repliées sur elles-mêmes, donnaient au fossile l’apparence d’un géant assis. Le crâne, démesuré même pour la taille colossale de l’animal, était emmanché d’un long col aux vertèbres robustes dont le chapelet ininterrompu se dessinait de l’occiput au coccyx, sans une tare ; les côtes s’arrondissaient sur le sternum, intactes. On eût dit que l’oiseau allait s’envoler.

Gérard, écrasé de surprise, sa haute stature réduite à celle d’un enfant à côté du squelette, ne pouvait se lasser d’admirer les proportions majestueuses du géant de l’azur qui dormait là depuis des siècles, sans qu’un regard humain fût jamais venu violer son repos…

« Un Epiornis fossile !… murmura enfin Gérard sortant de sa stupeur. Un Epiornis, évidemment !… Et de taille !… Il mérite bien son nom de sur-oiseau… En voilà un spécimen à rapporter au Jardin des Plantes, si jamais nous avions la chance de… »

S’arrêtant net tout à coup et se frappant le front :

« … Le rapporter !… s’écria-t-il à pleine voix ; le rapporter ?… Mais, triple sot que je suis, ce n’est pas nous qui le rapporterons, c’est lui qui nous rapportera chez nous !… Où trouver jamais navire aérien plus solide, mieux construit, plus savamment combiné pour la marche à travers les nuages ?… Ah ! cette fois, nous y sommes !… Eurêka !… Ce cher Henry qui est là à se ronger le cœur, faute de matériaux pour fabriquer un autre aviateur !… Le voilà, ton aviateur, viens le prendre !… tout prêt, tout agencé, tout bâti, complet, fait sur mesure par la bonne mère Nature pour nous tirer d’embarras… Hourrah !… Vive l’Epiornis… Vive la France !… Nous sommes sauvés !… Nous sommes hors d’affaire !… Hurrah !… Hurrah !… trois fois hurrah !… »

Ainsi clamait Gérard, ivre de joie et d’espérance.

Une crainte subite vint soudain glacer son enthousiasme : « Oui-dà ! et si ce maître oiseau allait tomber en poussière quand on le touchera ? … fit-il. Ce serait désastreux, on ne peut le nier… Voyons, il faut en avoir le cœur net avant d’appeler les autres… »

Tout palpitant, Gérard s’avance, grimpe sur la corniche au fond de laquelle trône l’oiseau fossile, porte une main frémissante sur la gigantesque carcasse. Les ossements durcis, les cartilages ossifiés demeurent immobiles sous sa main. Enhardi, il les manie, les palpe, les tiraille, les secoue, sans que leur dureté marmoréenne subisse la moindre altération. D’un bond il saute dans l’intérieur de l’oiseau et s’assied commodément sur une côte ; il mesure de l’œil les dimensions du squelette et constate qu’elles sont plus que suffisantes pour abriter quatre hommes avec les vivres et les instruments indispensables ; en fait, celles que Wéber avait données à son oiseau artificiel… Ivre de joie, Gérard s’oublie un instant dans la plus agréable rêverie : « C’est le salut, pense-t-il, de plus en plus énamouré de sa trouvaille. Brave ancêtre, va !… Même en admettant que tu nous joues le tour de nous laisser choir et de nous casser