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« C’était le 10 du mois de juin. Le lac du Bourget, à l’aspect si triste d’ordinaire, était sillonné par une foule de barques portant des gens de toute espèce et de toute condition, les uns appelés par leurs fonctions, les autres attirés par la triste curiosité qu’inspire la mort des puissants de la terre qui ont été à la hauteur de leur fortune. Prélats, moines, chevaliers, écuyers, pages, conseillers de robe longue, juges, soldats, valets, gens du peuple, tous se dirigeaient vers cette sombre et triste abbaye d’Hautecombe, encore enveloppée dans l’ombre que projetait la montagne du Chat. L’église pouvait à peine contenir les barons, les officiers de la cour et d’État et les étrangers les plus illustres, parmi lesquels on comptait les ambassadeurs des plus grands princes de l’Italie. Tendue entièrement de noir, toute parsemée d’écussons aux armes de Savoie, éclairée par des centaines de flambeaux et de torches, ayant au milieu un catafalque couvert de draps d’or noirs et d’armoiries, l’église gothique présentait un aspect qui inspirait la terreur et la piété ; et ce bras puissant du Comte-Vert, si admiré dans les tournois, si redouté à la guerre dans l’Orient et dans l’Occident, et ces paroles, dictées par un noble orgueil, par lesquelles il avait la coutume de dire qu’on parlerait plus de lui que d’aucun autre prince de sa famille[1], semblaient s’élever et se faire entendre au-dessus de cette petite pierre qui recouvrait tant de gloire et de puissance[2]

  1. Nous déistes : Par le Saint Dyex ! ne reurra un an que je ayra plus de païs que not mais nul de mes encesseurs, et qu’il sera plus parlé de moy que ne fut mais de nul de notre lignage, ou je mourray en la poine ! » (Lettre de Galéas Visconti à Amédée VI, 1373. — Cibrario et Proxis, Documenti, monete et sigilli, p. 289.
  2. Cibrario, Économie politique du moyen-âge, t 1, p. 356.