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821 ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE) 822
bler de biens ses amis. Il voulut que tous les Grecs participassent à son bonheur, et ordonna que toutes les tyrannies qui s’étaient élevées chez eux fussent abolies, et que chaque ville se gouvernât par ses propres lois? Il ne s’empara de Suse qu’après avoir fait son entrée à Babylone. Tous les trésors que les rois de Perse gardaient à Suse lui ayant été livrés, il fit la guerre aux Uxiens et les subjugua ; puis il passa les Pyles Persides, et se rendit successivement maître de Pasargade et de Persépolis. Là il passa des jours entiers dans les plaisirs de la table, avec des courtisanes. Une d’entre elles, selon Quinte- Curce, Thaïs, excita dans un festin le conquérant macédonien à brûler les palais des rois de Perse, en lui disant que les Grecs attendaient cette satisfaction pour toutes les villes que les barbares avaient détruites et les temples qu’ils avaient brûlés. Les convives, dans l’ivresse, applaudirent à ce discours ; et Alexandre lui-même s’écria : « Que ne vengeons-nous donc la Grèce, et que n’apporte-t-on des flambeaux ! » Il mit le premier le feu au palais, et tous les autres imitèrent son exemple. L’incendie gagna de toute part ; et on ne trouverait aucun vestige de Persépolis, ajoute Quinte-Curce, si l’Araxe ne servait de renseignement : il passait à vingt stades de cette ville (1)[1]. Cet historien a donné une signification trop étendue aux termes de l’auteur que Diodore et lui ont copié. Il disait simplement, comme le texte de Diodore le prouve, que les environs du palais furent brûlés. Arrien, après avoir rapporté que les palais des Perses furent incendiés, contre l’avis de Parménion qui voulait les conserver, blâme cette action, et réfute les raisons frivoles dont on s’était servi pour la justifier, en la mettant sur le compte d’Alexandre. Il a adopté, sur cet incendie, le récit de Clitarque, amplifié par Quinte-Curce. Plutarque a suivi Aristobule lorsqu’il nous assure que, non seulement il n’y eut que le palais des rois exposé à la fureur des flammes, mais encore qu’il n’y en eut qu’une partie de brûlée. Alexandre étant bientôt revenu de ce délire bachique, ordonna, comme tout le monde en convient, qu’on éteignît le feu. Les ruines de ce fameux palais subsistent encore ; d’ailleurs, une masse de pierres d’une grosseur prodigieuse, et qui étaient d’une dureté à toute épreuve, ne pouvait être tellement dévorée par les flammes, qu’il n’en restât aucun vestige ; et le feu dut nécessairement s’éteindre lorsqu’il eut consumé la partie de ce palais qui était construite en bois de cèdre. Mais, pour disculper entièrement Alexandre de l’incendie de Persépolis, on peut démontrer que cette ville a existé encore plusieurs siècles après la mort de ce prince.

De Persépolis, Alexandre se dirigea sur Ecbatane, où Darius s’était d’abord réfugié ; mais ce malheureux, apprenant que son ennemi s’avan-

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çait, quitta cette ville avec une si grande précipitation, qu’il en était déjà à cinq journées lorsque la nouvelle de sa fuite parvint à Alexandre, qui était en ce moment éloigné de trois journées d’Ecbatane. Darius n’avait alors avec lui, selon Arrien, que six mille hommes d’infanterie et trois mille chevaux. Diodore lui donne en tout trente mille hommes (1)[2], et Quinte-Curce trente mille fantassins, quatre mille archers et trois mille trois cents cavaliers.

Les Macédoniens passèrent les Pyles Caspiennes, et poursuivirent Darius fugitif. Ils apprirent bientôt que Bessus et ses complices avaient chargé de fers cet infortuné monarque, et que, peu de temps après, ils l’avaient assassiné. Les historiens d’Alexandre, et principalement Quinte-Curce, ont fait tous leurs efforts pour rendre les circonstances de la mort de Darius aussi pathétiques qu’intéressantes. Étant à la poursuite de Darius et de Bessus, le conquérant macédonien fit des marches si rapides, qu’elles ont paru incroyables, et qu’on a accusé ses historiens d’exagération. Cependant la course était un des exercices les plus favoris des Grecs. Les soldats d’Alexandre s’y étaient tous adonnés dès leur première jeunesse, et le disputaient, sinon en force, du moins en agilité, aux soldats romains, qui faisaient en six à sept heures jusqu’à vingt-quatre milles, c’est-à-dire huit fortes lieues, seulement par forme d’exercice.

Alexandre ayant porté ses armes au delà du Jaxarte, défit les Scythes, qui, avant d’en venir aux mains, lui envoyèrent des députés. Quinte-Curce leur fait prononcer un discours, le plus beau de tous ceux qu’il a insérés dans son ouvrage ; et, comme s’il avait prévu que l’on pourrait soupçonner sa fidélité, il ajoute : « Les Scythes n’ont pas, comme les autres barbares, l’esprit grossier et sans culture ; on dit que, parmi eux, quelques-uns s’appliquent à l’étude de la sagesse, autant que le peuvent des gens toujours armés. Peut-être leur discours répugne à nos mœurs, parce que nous vivons dans un siècle où les hommes ont l’esprit plus cultivé. Si l’éloquence des Scythes est méprisée, notre fidélité ne doit pas l’être, puisque nous rapportons les choses sans altération et comme elles nous ont été transmises (2)[3]. » Les Scythes dont parle cet historien étaient au delà du Jaxarte, sur les bords duquel Cyrus avait bâti Cyra, appelée Cyrapolis par les écrivains grecs et latins. En considération de son fondateur, Alexandre voulait épargner cette ville ; mais comme elle s’était défendue avec beaucoup d’opiniâtreté, et qu’elle avait dû être emportée d’assaut, on en massacra tous les habitants par ordre de ce prince, qui avait été blessé dans une attaque. Tel est le récit d’Aristobule, adopté par Strabon et par Quinte-Curce. Mais Arrien, qui nous l’a conservé, rap-

  1. (1) Quinte-Curce, V, 8.
  2. (1) Diodore de Sicile, XVII, 73.
  3. (2) Quinte-Curce, VII, 8.