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selon moi, essentiellement l’esprit de Descartes, c’est une foi opiniâtre en lui-même, une forte individualisation qui cherche par une vigoureuse dialecticpue, par la puissance des raisonnements, quelquefois même par les charmes de l’imagination, à se substituer à toute autre autorité. C’était bien là cet esprit breton, qui déjà avant Descartes s’était incarné dans Abeilard, comme depuis dans Lamennais et Chateaubriand.

Ce fut sans doute un spectacle saisissant que celui de la raison humaine aux prises avec le doute universel ; mais ce spectacle ne dura pas longtemps. Quand Descartes dit au commencement de son Discours de la Méthode : « Je savois que la philosophie donne moyen de parler vraisemblablement de toutes choses, et de se faire admirer des moins savants », il s’annonce, dans un langage dédaigneux et satirique comme le destructeur des systèmes anciens et le fondateur d’une philosophie nouvelle. Mais, hélas ! cette philosophie eut bientôt le sort de ses aînées. Quoi qu’en aient dit ses partisans, Descartes n’a point tracé aux sciences leurs méthodes, et s’il a établi en principe de ne jamais recevoir aucune chose pour vraie, à moins qu’elle ne soit connue comme évidente, il a émis en même temps sur les esprits animaux sur toute la physique du corps humain, une série de doctrines reconnues depuis longtemps erronées.

Que dirai-je de son fameux axiome : « Je pense, donc je suis… » C’est une formule qui donne de l’existence humaine une idée évidemment fausse : d’abord elle isole l’homme dans l’immensisté, dont lui-même fait partie ; elle le sépare des conditions qui l’environnent, milieu permanent, nécessaire, inséparable. Puis, la pensée abstraite, de quelque façon qu’on la retourne, ne pourra jamais donner à elle-même une valeur réelle : elle ne la reçoit que du monde extérieur, en se complétant comme la fraction qui devient unité par l’addition de ce qui lui manque. Il faut que la pensée prenne pour ainsi dire corps par les mouvements multipliés de l’acte et de la parole, pour que l’homme marque son existence dans l’espace et dans le temps.

Omettant ainsi un élément essentiel du problème, l’axiome de Descartes devait conduire à des résultats inexacts. Mais il trouvera toujours des partisans nombreux et passionnés, parce qu’il flatte l’instinct de nos aberrations, cet orgueil inné qui faisant, de l’homme le centre du monde, rapetisse Dieu et rétrécit l’univers.

F. H.

Baillet, Vie de monsieur Descartes ; Paris, 1691, 2 vol. in-4o. — Borel, Vitæ Ren. Cartesii Compendium ; Paris, 1656, in-8o. — Brucker, Hist. Philosoph. — Tennemann, Gesch. der Philosophie. — Thomas, Éloge de Descartes ; 1765, in-8o. — Gaillard, Éloge de Descartes ; 1765, in-8o — Mazarelli de Saint Chamond, Éloge de Descartes. — Mercier, Éloge de Descartes. — Bordas-Damoulin, Le cartésianisme ; Paris, 1843, 2 vol. in-8o (couronné par l’Institut) ; — Bouillet, Sur la Philosophie castésienne ; Paris., 1854, in-8o — D. Nizard, Descartes et son influence sur la littérature française, dans la Revue des Deux Mondes, 1er décembre 1844.

DESCAURRES. Voyez Caurres (Des).

DESCEMET (Jean), médecin français, né à Paris, le 20 avril 1732, mort le 17 octobre 1810. Il s’adonna de bonne heure à l’étude des végétaux, et profita des savantes leçons de Duhamel-Dumonceau. À dix-huit ans, il embrassa la profession médicale, et l’exerça toute sa vie avec distinction, sans négliger ses études favorites. On lui doit dans l’anatomie de l’œil, la découverte importante de la membrane qui contient l’humeur aqueuse et qui revêt la partie intérieure de la cornée transparente. Sa modestie égalait son savoir. On a de lui : Catalogue des plantes du jardin de MM. les apothicaires de Paris, suivant la méthode de Tournefort ; Paris, 1759, in-8o. On a encore de Descemet des Observations sur la Choroïde, imprimées dans le tome V des Savants étrangers de l’Académie des Sciences. Il a fourni de nombreuses observations pour l’édition du Traité des arbres et arbustes qui se cultivent en pleine terre, par Duhamel-Dumonceau ; Paris, 1800-19, in-4o.

Barbier, Examen des Dictionnaires. — Rabbe Boisjolin, etc. Biogr. univ. et port, des Contemporains.

* DESCHAMPS (Eustache), dit Morel, poète français, né vers 1320, mort au commencement du quinzième siècle[1]. Eustache naquit à Vertus en Champagne, sur les États du duc d’Orléans. Il possédait aux environs de sa ville natale un domaine appelé Les Champs, qui fut brûlé par les Anglais. Il tira de là et conserva le nom de Deschamps. Il dut à son teint noir et hallez le surnom ou sobriquet de Morel, qui équivalait alors à l’expression populaire de moricaud (petit maure). Notre poète fit ses études à l’université d’Orléans, et s’y instruisit dans les arts libéraux ainsi que dans le droit civil. Il prit vraisemblablement dans ces deux facultés le grade de licencié, qui était dès lors exigé pour remplir des fonctions judiciaires, dont nous le verrons bientôt revêtu. C’est d’après ses écrits qu’on a pu déterminer quelques points de sa biographie. Il parcourut l’Egypte et la Syrie ; il demeura quelque temps en captivité chez les Sarrasins ; il fut attaché à la personne de Charles V et de Charles VI en qualité d’huissier d’armes ; il devint gouverneur du château de Fismes et bailli de Senlis ; il servit dans les guerres contre les Flamands et les Anglais, mais sans avoir à se louer des faveurs de la fortune. Ses

  1. Quatre lignie et généracion
    À y veu de roys depuis que je fus nez :
    Philippe, Jehan, charle en succession
    Le cinquiesme ; Charles, son fils ainsnez,
    Régna après.

    Ainsi s’exprime Eustache Deschamps, parlant de lui-même. Les rois qu’il désigne ici sont Philippe VI, qui monta sur le trône en 1328, Jean II, Charles V et Charles VI. La dernière trace directe et précise que l’on ait de son existence est une épitre adressée à Eustache par Christine de Pisan, en date du 10 février 1403 (1404 nouveau style). — V.