Page:Hoefer - Biographie, Tome 26.djvu/414

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En 1248, à l’appel du roi de France, Joinville se croisa avec le roi saint Louis, vendit ou engagea tous ses biens, et équipa neuf chevaliers, dont trois portaient bannière , et prit à sa solde sept cents hommes d’armes, luxe de suite considérable, mais non désintéressé. Depuis la prise de Constantinople, tous les chevaliers comptaient devenir princes. A la foi religieuse et au devoir de fidèle sujet et de vassal chevalier se mêlaient de vagues espérances de destinées inconnues et la certitude d’une gloire militaire à conquérir dans un noble but. Cette même année, nous dit Joinville, il lui naquit un fils, la veille de Pâques, et quelques jours après, au moment de partir pour la croisade, il assembla ses vassaux et hommes d’armes, pour leur annoncer son intention d’aller en Terre Sainte. C’était alors l’usage de se disposer pour ce périlleux voyage comme on se fût préparé pour mourir, en réglant ses dernières volontés, réparant les torts qu’on pouvait avoir causés, et restituant ce qu’on avait usurpé. Joinville, par scrupule de conscience, convoqua dans son château ses vassaux et hommes d’armes, qu’il festoyalargement et joyeusement pendant huit jours, puis il leur dit qu’avant d’aller outre mer, d’où il ne savait pas s’il reviendrait, il voulait réparer le dommage qu’il aurait pu avoir causé à quelqu’un d’entre eux, et ne point partir en leur ayant de riens mes/ait. « Je sortis du conseil, ajoute-t-il, et exécutai tout ce qu’ils décidèrent. » Il se rendit ensuite à Paris, où le roi avait mandé ses barons pour leur faire prêter serment de fidélité à ses enfants, dans le cas où il lui arriverait malheur dans son voyage d’outre mer. « Mais, dit Joinville, lorsqu’il me demanda de prêter ce serment, je m’y refusai, attendu que je n’étais pas son homme lige, mais celui du roi Thibaut. » De retour dans ses domaines, il fonda, dans l’église de Saint-Laurent de Joinville, un anniversaire pour lui et pour son épouse, Alaïs; puis le jour de son départ pour la croisade, s’étant confessé à l’abbé de Cheminon, qui lui ceignit l’écharpe et lui donna le bourdon de pèlerin, il se rendit en pèlerinage, pieds nus et en langes (robe de bure), à Blécourt, à Saint-Urbain et aux lieux saints des environs. Quand il repassa devant sa demeure, « je n’osai, dit-il dans son style naïf, oneques retourner mes yex vers Joinville , pource que le cuer ne me attrendrisist du biau chastel que je laissois et de mes •Jeux enfants » (1).

Joinville s’embarqua à Marseille en août 1248, avec ses chevaliers et sa troupe , sur une nef SOS

(1) Le 27 avril 1791, par ordre du duc d’Orléans (Phl-HpveÉgalit e),!e château et les bâtiments attenants furent ■vendus, à la condition qu’ils seraient démolis. Cet ordre à jamais regrettable fut exécuté, et le biau chastel, si cher au creur de Joinville, s’écroula sous des mains sacrilèges. Parmi nos monuments historiques, aucun n’aurait mieux mérité d’être conservé avec un pieux respect. qu’il loua de moitié avec son cousin Jean, sire d’Aspremont. Après nous avoir raconté en détail comment les chevaux furent embarqués et comment les prières furent chantées à bord de son navire, il nous dit : « Aussitôt le vent se ferit dans les voiles et nous déroba la veue de la terre, en sorte que nous ne vîmes plus que le ciel et l’eau, et chaque jour le vent nous éloigna de plus en plus des pays où nous étions nés. Est bien fol hardi, ajoute-t-il, celui qui s’ose mettre en tel péril avec le bien d’autrui on en péché mortel ! Car le soir on s’endort là, et on ne sait si on ne trouvera point au fond de la mer. »

Ils arrivèrent en Chypre quand le roi y était déjà. L’argent manquant à Joinville, il se voyait près d’être abandonné de quelques-uns de ses chevaliers, lorsque le roi lui vint en aide en lui donnant huit cents livres (1). Il séjourna en Chypre pendant l’hiver de 1249 à 1250, et c’est là que ses belles qualités , appréciées du roi , firent naître ces relations d’amitié, on peut dire paternelles, de saint Louis pour Joinville et du dévouement respectueux de Joinville pour son roi. Ce fut alors , nous dit-il , que l’impératrice de Constantinople (2) arriva à Baphe (Paphos) et lui écrivit de l’y venir chercher. Une tempête avait rompu les ancres de son navire, qui était parti à la dérive, en sorte qu’elle n’avait que la robe dont elle était vêtue. Conduite par Joinville à Limassol, elle fut honorablement accueillie par le roi et la reine et par tous les barons. Le lendemain Joinville eut soin de lui envoyer du drap et du cendal (taffetas) pom fourrer (doubler) sa robe, et il nous dit que son écuyer, porteur de ces objets, ayant été rencontré par l’un des familiers du roi, Philippe d< Nanteuil, celui-ci s’empressa d’aller raconter au roi l’affront que Joinville leur faisait de s’ètrt avisé avant eux de cette attention. C’était poui réclamer le secours du roi en faveur de sor époux, l’empereur Baudouin, que l’impératrice était venue en Chypre. « Par ses instances elk obtint, dit Joinville, plus de deux cents lettres, tant de moi que d’autres de nos amis, dans lesquelles nous déclarions nous engage» par serment, si le roi ou les légats vouloienl envoyer trois cents chevaliers à Constanti nople, de nous joindre à eux dès le départ dt> roi pour l’Egypte. Quand le moment fut venu je requis du roi, par devant le comte (d’Eu),, dont j’ai la lettre, que j’attendois pour me ren dre à Constantinople qu’il disposât des trois cents chevaliers; mais le roi me répondit qu’ili n’avoit pas de quoy,et que il n’avoit si boni trésor dont il nefeust à la lie. » Au printemps la flotte leva l’ancre pour l’h- (1) c< Je n’avoie plus que douze vins livres tournoid’or ou d’argent quand je eus payé ma nef », dit Joinville.

(2) Marie de Brienne, femme de Baudouin I, de Courtenay.