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déjà entre lui et Philippe, il en ajouta un plus puissant en refusant de prendre pour femme la sœur de ce prince, Adélaïde, et en acceptant la main de Bérengère, fille de Sancho, roi de Navarre. Philippe, irrité, partit pour la Terre sainte. Richard le suivit à la tête d’une flotte de deux cent trois galères ou vaisseaux (10 avril 1191). En chemin il s’arrêta pour faire sur un prince grec, lsaac Comnène, la conquête de l’île de Chypre, le réduisit en captivité, et lui enleva sa fille, qui l’accompagna en Palestine. Après avoir épousé Bérengère à Limasol, il arriva le 10 juin au camp des croisés, et fut reçu par eux avec des applaudissements unanimes.

Il y avait deux ans que durait le siège d’Acre ; l’attaque et la défense avaient été conduites avec un courage opiniâtre, et des deux côtés l’enthousiasme religieux avait opéré des prodiges. L’arrivée de Richard imprima aux opérations une vigueur nouvelle ; les murs furent battus nuit et jour, on multiplia les assauts, et le 12 juillet la ville capitula. Ainsi finit ce siège mémorable, où trois cent mille hommes, dix-huit prélats et cinq cents comtes ou barons avaient trouvé la mort. Presque aussitôt après la prise d’Acre, Philippe quitta le camp avec la moitié de son armée, et Richard resta seul pour diriger la croisade. Après avoir vu massacrer sous ses yeux plus de cinq mille captifs musulmans, il se mit en campagne. Son armée était réduite à trente mille hommes. Harcelé dans sa marche par Saladin, il lui livra plusieurs sanglants combats, à la suite desquels il força les portes de Jaffa, Césarée, Ascalon et les autres places de la côte lui furent successivement ouvertes. Malgré la disette et les maladies qui décimaient ses troupes, malgré ses propres doutes sur le succès de l’entreprise, il tenta deux fois d’arracher la ville sainte aux mains des infidèles ; deux fois il s’avança jusqu’à Béthanie et campa presque en vue de Jérusalem. Obligé de battre en retraite, il se replia sur Jaffa, déjà envahie par les Sarrasins, et ne s’en rendit maître qu’à force d’héroïque audace. Les fatigues de cette campagne déterminèrent une fièvre qui lui ôta toute sa vigueur, et il demanda au sultan une trêve de trois ans, qu’il obiint sans difficulté, avec l’assurance que les chrétiens isolés seraient respectés dans leur pèlerinage en Palestine. Ainsi se termina la troisième croisade ; les préparatifs en avaient été formidables, les exploits brillants, elles résultats à peu près nuls. Si Jérusalem eût dû être le prix de la bravoure et de la force personnelle, Richard l’eût mérité sans conteste : ses hauts faits répandaient autour de lui un éclat qui frappait l’ennemi de teneur et d’admiration à la fois ; mais ils n’eurent aucune influence sur l’issue de l’expédition, que son inconstance naturelle et son caraclère violent contribuèrent beaucoup à faire avorter. Avant de quitter la Terre sainte Richard avait vidé la querelle des compétiteurs au trône imaginaire de Jérusalem en se prononçant en faveur de Conrad de Montferrat, qui fut bientôt assassiné dans les rues de Tyr ; mais, par un mouvement tout chevaleresque, il avait donné à Gui de Lusignan l’île de Chypre, qu’il venait de conquérir.

Dès que sa santé le lui permit, il s’embarqua à Acre (9 octobre 1192). « Terre sacrée, s’écria-t-il, en étendant les bras vers le rivage, puisse Dieu m’accorder de vivre afin de revenir et de t’arracher au joug des infidèles ! » Sa flotte, qui portait sa femme et sa sœur, avait fait voile quelques jours auparavant et relâché en Sicile. Il la suivit avec un seul vaisseau ; mais sa marche fut retardée par les vents contraires ; il atteignit au bout d’un mois l’île de Corfou. Une tempête le jeta sur les côtes de l’istrie, entre Aquilée et Venise. Par malheur il se trouvait sur les terres d’un neveu du marquis de Montferrat, dont on lui reprochait, sans aucune preuve, d’avoir causé la mort. Reconnu sous son costume de pèlerin, séparé de ses compagnons, il erra à l’aventure, et fut arrêté dans le village d’Erperg, aux environs de Vienne (11 décembre 1192). Il y devint le prisonnier de Léopold, duc d’Autriche, beau-frère d’Isaac Comnène et que pendant le siège d’Acre il avait traité de la façon la plus injurieuse. Quelques jours après il fut livré par Léopold, moyennant la somme de 60, 000 livres, à l’empereur Henri VI, qui ayant, du chef de sa femme, des droits légitimes à la couronne de Sicile, regardait comme son ennemi Richard, allié de l’usurpateur Tancrède. Pendant plus d’une année, il le retint captif à Mayence, à Worms et dans le château de Trifels en Tyrol.

En Angleterre tout allait de mal en pis depuis le départ du roi. La mésintelligence n’avait pas tardé à éclater entre les deux prélats régents, Guillaume de Longchamp et Hugues Pudsey : le premier, possédant, en sa double qualité de chancelier et de légat du pape, toute l’autorité civile et ecclésiastique, s’était débarrassé dé son collègue en le faisant mettre en prison ; il trafiquait des emplois, disposait des revenus de la couronne, et déployait un faste royal ; il ne se montrait jamais au public qu’au milieu d’une escorte de quinze cents chevaliers. Il songea même à placer Jean sur le trône ; mais Jean (voy. ce nom), qui prétendait ne tenir l’investiture que de lui-même, repoussa ses offres et le chassa du royaume. La nouvelle de la captivité de Richard plongea ses sujets dans la consternation. Le peuple l’admirait comme un héros le clergé comme le champion de la croix ; la légende se faisait déjà autour de son nom, et les récits de ses merveilleux exploits exaltaient tous les esprits. Tandis que la noblesse renouvelait ses serments d’allégeance, que les évêques envoyaient au prisonnier des paroles d’espoir et de consolation, et que la reine mère Éléonore faisait retentir le Vatican de ses plaintes, Jean annonçait partout la mort de son frère, usurpait l’autorité suprême et rendait hommage à Phi-