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Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/17

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plus misérables, en proie aux souvenirs les plus amers et les plus déchirants ! — Enfin, le point essentiel est que je ne me tiens nullement pour offensé. Vous me priâtes de sortir… et je sortis. »

Le son de voix de l’étranger en prononçant ces derniers mots trahit une secrète mortification, ce qui donna lieu au baron de s’excuser de nouveau, d’autant, disait-il, que, sans qu’il sût pourquoi, le regard de l’étranger l’avait ému, pénétré jusqu’au fond de l’âme, au point qu’il n’avait plus eu la force de le supporter.

« Fasse le ciel, dit l’étranger, que mon regard, s’il vous a réellement causé cette émotion intime, vous ait fait pressentir le danger imminent que vous courez. De gaîté de cœur, et dans l’imprévoyance de la jeunesse, vous marchez sur le bord d’un abîme : un seul coup fatal et vous y êtes précipité sans ressource. En un mot, vous êtes sur le point de devenir un joueur passionné et de vous ruiner. »

Le baron assura à l’étranger qu’il se trompait positivement. Il raconta avec détail comment il avait été amené à jouer, et prétendit que le véritable instinct du jeu lui était tout à fait étranger ; que tout ce qu’il souhaitait enfin, c’était de perdre deux cents louis d’or, et qu’il cesserait de paraître au jeu dès qu’il aurait vu son but rempli ; mais que jusqu’à ce moment, au contraire, le bonheur le plus décidé avait suivi toutes ses tentatives.

« Ah ! s’écria l’étranger, c’est précisément ce bonheur qui est la séduction la plus perfide et la plus