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Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/44

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le tapis et s’amoncelait sous les râteaux. Mais brisé, mais anéanti, le bonheur d’Angela avait eu le destin d’un court et beau rêve. Le chevalier ne la traitait plus qu’avec indifférence, presqu’avec mépris ! Des semaines, des mois entiers s’écoulaient sans qu’elle le vit ; un vieux maître d’hôtel prenait soin des affaires de la maison, et les domestiques étaient incessamment remplacés suivant le caprice du chevalier ; de sorte qu’Angela, ainsi qu’une étrangère dans sa propre maison, ne trouvait nulle part la moindre consolation. Souvent lorsqu’elle entendait dans ses nuits d’insomnie la voiture du chevalier s’arrêter devant la maison, le chevalier faire déposer la lourde cassette avec des paroles brèves et rudes, et puis la porte de sa chambre écartée se refermer avec fracas, alors un torrent de larmes amères coulait de ses yeux ; cent fois dans les angoisses de son désespoir le nom de Duvernet s’échappait de ses lèvres, et elle suppliait la providence de mettre fin à sa misérable existence empoisonnée par le chagrin !

Il arriva qu’un jeune homme de bonne maison, après avoir perdu toute sa fortune à la banque du chevalier, se tua d’un coup de pistolet dans la salle même du jeu, de sorte que sa cervelle et son sang rejaillirent sur les joueurs, qui reculèrent saisis d’horreur. Le chevalier seul garda son sang-froid, et, voyant tout le monde prêt à s’éloigner, demanda s’il était d’usage de quitter le jeu avant l’heure prescrite, à cause d’un fou qui ne savait pas garder les convenances.

L’événement fit une grande sensation. La conduite