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Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/46

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profond sentiment d’envie et de haine, mais dans l’idée que son bonheur habituel le mettrait bientôt à même de ruiner cet heureux rival. À l’aspect du chevalier, le colonel, avec un accès de gaité qui contrastait avec ses habitudes sérieuses, dit que, de ce moment seul, le jeu recevait pour lui un véritable attrait, dès qu’il s’agissait de lutter contre le bonheur du chevalier de Ménars.

Les cartes furent, en effet, favorables au chevalier comme autrefois pendant les premières tailles. Mais aveuglé par l’excès de son bonheur, et s’étant écrié : « L’argent de la banque ! » il perdit d’un coup une somme considérable.

Le colonel, ordinairement impassible dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, ramassa l’argent du chevalier avec d’évidents témoignages d’une joie excessive.

Depuis ce moment, l’étoile du chevalier fut éclipsée sans retour. Chaque nuit il jouait, et perdait chaque nuit, jusqu’à ce qu’il ne lui restât plus que deux mille ducats en lettres de change. — Il avait couru toute la journée pour réaliser ce papier et ne rentra que fort tard. La nuit venue, il se disposait à partir nanti de sa dernière ressource, lorsqu’Angela, qui soupçonnait la vérité, se trouva sur son passage, se jeta à ses pieds, et, les yeux baignés de pleurs, le supplia, au nom de la Vierge et de tous les saints, de renoncer à sa funeste résolution, et de ne pas la précipiter dans la misère.

Le chevalier la releva, la pressa sur son sein avec un attendrissement douloureux, et lui dit d’une voix