Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/127

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Sandara-le-Barbu n'appartenait à aucune des classes d'industriels que nous venons d'énumérer ; il formait à lui seul une catégorie à part. Son métier, à lui, était d'exploiter les étrangers que la dévotion ou d'autres motifs amenaient à la lamaserie. Les Tartares-Mongols étaient surtout ceux qu'il travaillait avec le plus de succès. Il se présentait à eux en qualité de cicérone, et, grâce à la souplesse de son caractère et à la séduction de son langage, il finissait toujours par devenir leur homme d'affaires. Sandara ne jouissait pas à Kounboum d'une excellente renommée. Les bons Lamas avaient peu d'estime pour lui : il y en eut même quelques-uns qui nous avertirent charitablement de ne pas trop nous fier à ses belles paroles, et de veiller avec soin sur notre bourse. Nous apprîmes que, forcé de quitter Lha-Ssa pour cause d'escroquerie, il avait parcouru pendant trois ans les provinces du Sse-Tchouan et du Kan-Sou, faisant métier de jouer la comédie et de dire la bonne aventure. Nous ne fûmes aucunement surpris d'apprendre une semblable nouvelle. Nous avions remarqué, que, lorsque Sandara se laissait aller franchement à son naturel, il prenait aussitôt toutes les allures d'un histrion.

Un soir qu'il nous parut d'une humeur plus aimable que de coutume, nous essayâmes de lui parler de ses anciennes prouesses. — Sandara, lui dîmes-nous, les Lamas désœuvrés et à paroles oiseuses, prétendent qu'à ton retour du Thibet, tu es resté trois ans en Chine. — Cette parole est vraie. Il y en a qui disent même que tu chantes merveilleusement les discours de théâtre ... Sandara sourit, puis se leva, fit claquer ses doigts en cadence, prit une pose théâtrale, et nous débita avec emphase une tirade de