Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/140

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ces mots, il courut dans sa cellule .... C'eût été le cas de rire à notre tour, en apprenant que la charité des bouddhistes consistait à donner aux voyageurs des chevaux en papier. Mais nous conservâmes notre gravité ; car nous avions pris pour règle, de ne tourner jamais en ridicule les pratiques des Lamas. Un instant après, le bègue reparut, tenant dans ses mains quelques morceaux de papier, sur chacun desquels était imprimée l'image d'un cheval sellé, bridé, et allant ventre à terre. — Voilà, nous dit le bègue, les chevaux que nous envoyons aux voyageurs. Demain, nous monterons sur une haute montagne, à trente lis de la lamaserie ; nous passerons la journée à réciter des prières et à expédier des chevaux. — Quel moyen employez-vous pour les envoyer aux voyageurs ? — Un moyen fort simple. Après certaines formules de prières, nous prenons un paquet de chevaux que nous lançons en l'air ; le vent les emporte ; par la puissance de Bouddha, ils sont changés en véritable chevaux, et se présentent aux voyageurs ... Nous dîmes sincèrement à notre cher voisin ce que nous pensions de cette pratique, et nous lui exposâmes les motifs qui nous empêchaient d'y prendre part. Il parut goûter fort tout ce que nous lui dîmes ; mais cela ne l'empêcha pas de passer une grande partie de la nuit à fabriquer, par voie d'impression, une quantité prodigieuse de chevaux.

Le lendemain, avant que le jour parût, il se mit en route, avec quelques confrères, pleins de dévouement comme lui pour les pauvres voyageurs. Ils partirent chargés d'une tente, d'une marmite et de quelques provisions de bouche. Pendant toute la matinée, il fit un vent épouvantable, qui ne se calma que vers le milieu du jour ; le ciel devint alors ombre