Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/162

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En terminant, je reviens aux idées par lesquelles j’ai commencé, et je serais touché que nos nobles collègues dissidents les prissent en considération.

Le comte Molé qui avait voté la peine capitale s’est levé et a dit :

J’ignorais que le poing coupé eût été aboli. Du moment où cette torture a été supprimée je n’hésite plus à voter la peine des parricides.

Le marquis de Gabriac, qui s’était abstenu de voter et avait réservé son opinion, a dit :

— Je vote la peine des parricides.

On a commencé le second appel nominal. Le nombre des pairs votant la peine des parricides s’est encore accru.

À l’appel de mon nom, je me suis levé, un profond silence s’est fait. J’ai dit :

— La cour comprendra les scrupules d’une conscience effrayée qui, pour la première fois, sent s’agiter en elle d’aussi redoutables questions. Ce moment, messieurs les pairs, est solennel pour tous ; il ne l’est ici pour personne autant que pour moi. J’ai sur les peines irréparables des idées arrêtées et complètes depuis dix-huit années. Ces idées, vous les connaissez. Simple écrivain, je les ai publiées, homme politique, si Dieu m’aide, je les appliquerai. À la place que j’occupe ici, que nous occupons tous, on est tout à la fois juge et législateur. Ce double caractère est tellement mêlé en nous dans toutes nos fonctions, qu’en présence des nécessités politiques comme en présence des devoirs judiciaires, on peut dire que, chez le pair de France, le législateur se compose du juge et le juge se compose du législateur. À aucun moment de notre vie publique, il ne nous est donné d’abstraire de nous-même et d’oublier l’une ou l’autre de ces deux qualités, législateur et juge, et ces deux qualités ne font qu’une mission. Ainsi, au point de vue général, je répugne aux peines irréparables ; dans le cas particulier, je ne les admets pas. Ce n’est pas que je n’aie point recueilli dans tout ce qui m’intéresse ici plus d’un enseignement utile et sérieux. J’ai écouté avec recueillement les observations présentées par M. le chancelier. Elles sont graves, venant d’un si éminent esprit. Je suis frappé de l’unanimité imposante de cette imposante assemblée. Mais l’opinion de M. le chancelier, l’unanimité de la cour, cela est beaucoup en présence du raisonnement, cela n’est rien devant la conscience. Depuis que le procès est pendant, j’ai médité et je me suis préparé au grand acte que nous accomplissons par un examen sévère. Avant les débats, j’ai lu, relu, étudié toutes les pièces du procès ; pendant les débats, j’ai considéré l’attitude, la physionomie, le geste, j’ai scruté l’âme de l’accusé. Eh bien, je le dis à cette cour composée d’hommes justes, je le dis à M. le chancelier dont l’opinion a tant de poids, je persiste dans mon vote. Le résultat de mes études, c’est une conviction. Cette conviction la voici : L’accusé est un homme solitaire. La solitude est bonne aux