Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/164

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casions, la Chambre le savait. Quand elle apprit que l’exécution venait d’avoir lieu, elle fut surprise, presque blessée.

Immédiatement après la condamnation, M. le chancelier et M. le premier président Franck-Carré avaient été appelés chez le roi. M. Franck-Carré était le pair commissaire qui avait été chargé du rapport de l’instruction. Ils allèrent chez le roi dans la voiture du chancelier. M. Franck-Carré, quoique ayant voté la peine des parricides, était ouvertement favorable à la grâce. M. le chancelier y inclinait également, mais sans vouloir se prononcer. Chemin faisant, il dit au président Franck-Carré :

— J’ai dirigé l’information, j’ai dirigé l’instruction, j’ai dirigé les débats. Je n’ai pas été sans influence sur le vote. Je ne veux pas m’expliquer sur la grâce. Assez de responsabilité comme cela ! Ils feront ce qu’ils voudront.

Dans le cabinet du roi, il tint respectueusement le même langage. Il déclina tout parti pris d’opinion sur la question de la grâce. M. le président Franck-Carré fut explicite. Le roi entrevoyait l’opinion du chancelier.

Me Duvergier avait pris son client à gré, comme fait toujours l’avocat qui le défend. C’est un effet naturel. Le procureur général finit par haïr l’accusé, et l’avocat par l’aimer. Lecomte fut condamné le vendredi. Le samedi, Me Duvergier alla chez le roi.

Le roi le reçut bien, mais il lui dit : — J’examinerai, je verrai. Le cas est grave. Mon danger est le danger de tous. Ma vie importe à la France, c’est pour cela que je dois la défendre. Savez-vous comment il se fait qu’on tire sur moi ? C’est qu’on ne me connaît pas, c’est qu’on me calomnie, on dit partout : — Louis-Philippe est un gueux, Louis-Philippe est un coquin, Louis-Philippe est un avare, Louis-Philippe fait tout le mal. Il veut des dotations pour ses fils, de l’argent pour lui. Il corrompt le pays. Il l’avilit au dedans et l’abaisse au dehors. C’est un vieux anglais. À bas Louis-Philippe ! Que diable ! il faut bien que je protège un peu ce pauvre Louis-Philippe, maître Duvergier ! C’est égal, je réfléchirai. Vous savez que je déteste la peine de mort. Chaque fois qu’il faut signer un rejet de grâce, le supplice commence par moi. Tous mes penchants, tous mes instincts, tous mes principes sont de votre côté. Cependant je suis le roi constitutionnel, j’ai des ministres qui décident. Et puis, que voulez-vous ? il faut bien que je songe aussi un peu à moi.

Me Duvergier sortit navré. Il comprit que le roi ne ferait pas grâce.

Le conseil des ministres fut unanime pour l’exécution de l’arrêt de la cour des pairs.

Le lendemain dimanche, Me Duvergier reçut par exprès une lettre de M. le garde des sceaux Martin du Nord, lui annonçant que le roi avait cru devoir décider que la loi aurait son cours. Il était encore dans la première émotion de l’espérance définitivement perdue lorsqu’un nouvel exprès arriva.