Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/203

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— C’est parce qu’on lui a ôté son corset, dit l’autre.

— C’est parce qu’elle a respiré de l’éther, dit une troisième.

— C’est parce que M. le Directeur lui a tâté le pouls, reprit la surveillante.

La grande brune se pencha vers moi et me dit tout bas : — C’est parce que vous lui avez donné cent sous.

Nous passâmes outre.

Une des particularités de la Conciergerie, c’est que toutes les cellules occupées par les régicides depuis 1830 étaient dans le quartier des femmes.

J’entrai d’abord dans la cellule qui avait été occupée par Lecomte et qui venait d’être habitée par Joseph Henri.

C’était une chambre assez grande, presque vaste, claire, n’ayant d’un cachot que le pavé, la porte armée de la plus grosse serrure qu’il y eût à la Conciergerie, et la fenêtre, large ouverture grillée vis-à-vis, de la porte. Cette chambre, du reste, était ainsi meublée : dans l’angle, près de la fenêtre, lit de quatre pieds et demi de large en acajou, forme bateau, grande mode de la restauration ; de l’autre côté de la fenêtre, secrétaire en acajou ; près du lit, commode en acajou avec mains et poignées en cuivre doré ; sur la commode, une glace, et, devant la glace, une pendule en acajou en forme de lyre avec cadran doré et ciselé ; petit tapis carré au pied du lit ; quatre fauteuils en acajou et en velours d’Utrecht ; entre le lit et le secrétaire un poêle en faïence.

Cet ameublement, à l’exception du poêle, qui choque le goût des bourgeois, est l’idéal d’un boutiquier enrichi. Joseph Henri en fut ébloui.

Je demandai ce que ce pauvre fou était devenu. Après avoir été transféré de la Conciergerie à la Roquette, il venait de partir, le matin même, en compagnie de huit voleurs, pour le bagne de Toulon.

La fenêtre de cette cellule donnait sur le préau des femmes. Elle était garnie d’une vieille hotte vermoulue et percée de trous. Par ces trous on pouvait voir ce qui se passait dans le préau, distraction pour le prisonnier qui n’était peut-être pas sans inconvénient pour ces femmes, lesquelles se croyaient seules dans cette cour et à l’abri de tout regard.

À côté était la cellule jadis occupée par Fieschi et Alibaud. Ouvrard, qui l’avait le premier habitée, y avait fait mettre une cheminée en marbre (marbre Sainte-Anne, noir veiné de blanc) et une grande boiserie faisant alcôve et cabinet de toilette.

L’ameublement était tout en acajou et à peu près pareil au mobilier de la chambre de Joseph Henri.

Après Fieschi et Alibaud, cette cellule avait eu pour habitants l’abbé de La Mennais et Mme la marquise de Larochejaquelein, puis le prince Louis-