Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/30

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commença bien. Dazincourt, qui était de bonne compagnie et avait du monde, conta de la meilleure façon du monde plusieurs historiettes décemment gaies, qui firent grand plaisir et eurent grand succès. Cela enhardit le cardinal qui se mit à conter, sans la moindre gaze et la moindre précaution, des anecdotes telles qu’au milieu du dîner la maîtresse de la maison dut faire signe à deux jeunes filles de seize ans, ses filles, de se lever de table et de se retirer.

Le soir, quand il fut parti, Dazincourt dit :

— C’est moi qui ai fait le cardinal et le cardinal a fait le figaro.

Il se faisait une étrange idée de ses fonctions d’archevêque. Il fut nommé archevêque de Paris le jour où M. Pasquier fut nommé préfet de police. M. Pasquier était (à ce qu’il m’a conté) consterné. Le cardinal était rayonnant. Tous deux allèrent le jour même faire leur cour à l’empereur et prêter serment. Ils se rencontrèrent dans l’antichambre de l’empereur. Le cardinal alla à M. Pasquier et lui prit la main en disant : L’empereur sait faire ses affaires. Il a pourvu le même jour à toutes les polices de l’empire.

C’était sans doute cette pensée que le cardinal avait dans l’esprit le jour où l’empereur manda aux Tuileries l’abbé d’Astros, chanoine de Saint-Denis. L’abbé d’Astros passait pour avoir trempé dans des intriguailleries royalistes. L’empereur furieux le semonça rudement, et lui ordonna d’aller rendre compte de sa conduite au ministre de la police. Le cardinal, craignant que l’abbé d’Astros ne s’échappât, le prit dans sa voiture et le conduisit lui-même. M. d’Astros ne sortit de la voiture de l’archevêque que pour entrer au ministère de la police, du ministère de la police que pour aller à Vincennes, et de Vincennes qu’à la restauration.

Un jour, le cardinal prêchait à Notre-Dame. Un agent tout effaré vient trouver M. Pasquier, préfet de police. — Qu’y a-t-il ? — Ah ! Monsieur le préfet, le scandale est dans Notre-Dame. Monseigneur l’archevêque prêche, et sa maîtresse est dans la chaire. — Voilà le préfet fort alarmé. L’empereur ne prenait pas plaisamment les scandales publics. M. Pasquier court à Notre-Dame. Le cardinal, qui était fort verbeux, prêchait en effet. Une foule immense, juchée et grimpée sur des chaises, entourait la chaire, et un étrange propos circulait en effet dans cette foule. On entendait partout murmurer tout bas : C’est la maîtresse du cardinal ! C’est la maîtresse du cardinal ! Les regards de la foule étaient en effet fixés sur un petit panache blanc en plumes d’autruche, coiffure fort à la mode alors, qu’on voyait au-dessus de la rampe de l’escalier de la chaire se balancer en cadence à chaque mot que prononçait l’archevêque. Nul doute. Une femme était dans la chaire. M. Pasquier fend la foule et arrive jusqu’à la chaire, fort scandalisé et surtout fort effrayé. Ce n’était pas la maîtresse du cardinal, c’était une vieille dame polonaise fort