Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/346

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FUITE DE LOUIS-PHILIPPE.


Ce fut M. Crémieux qui dit au roi Louis-Philippe ces tristes paroles : — Sire, il faut partir.

Le roi déjà avait abdiqué. Cette signature fatale était donnée. Il regarda M. Crémieux fixement.

On entendait au dehors la vive fusillade de la place du Palais-Royal, c’était le moment où les gardes municipaux du Château-d’Eau luttaient contre les deux barricades de la rue de Valois et de la rue Saint-Honoré.

Par moment d’immenses clameurs montaient et couvraient la mousqueterie. Il était évident que le peuple arrivait. Du Palais-Royal aux Tuileries, c’est à peine une enjambée pour ce géant qu’on appelle l’émeute.

M. Crémieux étendit la main vers ce bruit sinistre qui venait du dehors et répéta :

— Sire, il faut partir.

Le roi, sans répondre une parole, et sans quitter M. Crémieux de son regard fixe, ôta son chapeau de général qu’il tendit à quelqu’un au hasard près de lui, puis il ôta son cordon rouge, puis il ôta son uniforme à grosses épaulettes d’argent, et dit, sans se lever du large fauteuil où il était comme affaissé depuis plusieurs heures :

— Un chapeau rond ! une redingote !

On lui apporta une redingote et un chapeau rond. Au bout d’un instant, il n’y avait plus qu’un vieux bourgeois.

Puis il cria d’une voix qui commandait la hâte :

— Mes clefs ! mes clefs !

Les clefs se firent attendre.

Cependant le bruit croissait, la fusillade semblait s’approcher, la rumeur terrible grandissait.

Le roi répétait : Mes clefs ! mes clefs !

Enfin on trouva les clefs, on les lui apporta. Il en ferma un portefeuille qu’il prit sous son bras, et un plus gros portefeuille dont un valet de pied se chargea. Il avait une sorte d’agitation fébrile. Tout se hâtait autour de lui. On entendait les princes et les valets dire : Vite ! vite ! La reine seule était lente et fière.

On se mit en marche. On traversa les Tuileries. Le roi donnant le bras à la reine ou, pour mieux dire, la reine donnant le bras au roi. La duchesse