Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/348

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En ce moment Mme la princesse Clémentine et son mari, le duc de Saxe-Cobourg, arrivaient par le chemin de fer.

— Vite, Madame, dit Thuret, reprenons le chemin de fer et partons pour Trianon. Le roi est là.

Ce fut ainsi que Thuret parvint à rejoindre le roi.

Cependant, à Versailles, le roi s’était procuré une grande berline et une espèce de voiture omnibus. Il prit la berline avec la reine. Sa suite prit l’omnibus. On mit à tout cela des chevaux de poste et l’on partit pour Dreux.

Chemin faisant, le roi ôta son faux toupet et se coiffa d’un bonnet de soie noire jusqu’aux yeux. Sa barbe n’était pas faite de la veille. Il n’avait pas dormi. Il était méconnaissable. Il se tourna vers la reine, qui lui dit : — Vous avez cent ans.

En arrivant à Dreux il y a deux routes, l’une à droite, qui est la meilleure, bien pavée, et qu’on prend toujours, l’autre à gauche, pleine de fondrières et plus longue. Le roi dit : — Postillon, prenez à gauche.

Il fit bien, il était haï à Dreux. Une partie de la population l’attendait sur la route de droite avec des intentions hostiles. De cette façon il échappa au danger.

Le sous-préfet de Dreux, prévenu, le rejoignit et lui remit douze mille francs : six mille en billets, six mille en sacs d’argent.

La berline quitta l’omnibus, qui devint ce qu’il put, et se dirigea vers Évreux. Le roi connaissait là, à une lieue avant d’arriver à la ville, une maison de campagne appartenant à quelqu’un de dévoué, M. de …

Il était nuit noire quand on arriva à cette maison.

La voiture s’arrêta.

Thuret descendit, sonna à la porte, sonna longtemps. Enfin quelqu’un parut.

Thuret demanda : — M. de … ?

M. de … était absent. C’était l’hiver ; M. de … était à la ville.

Son fermier, appelé Renard, qui était venu ouvrir, expliqua cela à Thuret.

— C’est égal, dit Thuret, j’ai là un vieux monsieur et une vieille dame de ses amis, qui sont fatigués, ouvrez-nous toujours la maison.

— Je n’ai pas les clefs, dit Renard.

Le roi était épuisé de fatigue, de souffrance et de faim. Renard regarda ce vieillard et fut ému.

— Monsieur et Madame, reprit-il, entrez toujours. Je ne puis pas vous ouvrir le château, mais je vous offre la ferme. Entrez. Pendant ce temps-là, je vais envoyer chercher mon maître à Évreux.