Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/378

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Je voyais distinctement un homme qui s’était retranché derrière une petite barricade de briques bâtie à l’angle du balcon du quatrième de la maison qui fait face à la rue du Pont-aux-Choux. Cet homme visait longtemps et tuait beaucoup de monde.

Il était trois heures. Les soldats et les mobiles couronnaient les toits du boulevard du Temple et répondaient au feu. On venait de braquer un obusier devant la Gaîté pour démolir la maison de la Galiote et battre tout le boulevard.

Je crus devoir tenter un effort pour faire cesser, s’il était possible, l’effusion du sang ; et je m’avançai jusqu’à l’angle de la rue d’Angoulême. Comme j’allais dépasser la petite tourelle qui est tout près, une fusillade m’assaillit. La tourelle fut criblée de balles derrière moi. Elle était couverte d’affiches de théâtre déchiquetées par la mousqueterie. J’en ai détaché un chiffon de papier comme souvenir. L’affiche auquel il appartenait annonçait pour ce même dimanche une fête au Château des Fleurs avec dix mille lampions.




Depuis quatre mois, nous vivons dans une fournaise. Ce qui me console, c’est que la statue de l’avenir en sortira, et il ne faut pas moins qu’un tel brasier pour fondre un tel bronze.




Quatorze balles ont frappé ma porte cochère, onze en dehors, trois en dedans. Un soldat de la ligne a été atteint mortellement dans ma cour. On voit encore la traînée de sang sur les pavés.




Le souterrain des Tuileries fut construit pour le passage de Mme la duchesse de Berry quand elle se promenait, dans sa grossesse, sur la terrasse du bord de l’eau après la mort de M. le duc de Berry. Je l’ai souvent vue à cette époque marcher lentement sous les arbres, vêtue de noir avec son gros ventre, seule ou suivie à distance par quelques femmes en deuil. Ce souterrain a seize lucarnes grillées sur le jardin, ces lucarnes sont rondes et la disposition de leurs barreaux les fait ressembler à des roues. C’est dans ce souterrain qu’on enferma d’abord les insurgés de juin. Il leur était défendu de mettre la tête aux soupiraux. Les sentinelles tiraient sur toute figure qui apparaissait. On voit encore le trou d’une balle au bas d’une lucarne, la troisième à partir du château.

À la barrière Rochechouart, les insurgés s’étaient embusqués dans la boutique d’un perruquier nommé Bataille. Cette boutique a été criblée de balles.