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XII

VAULABELLE.


Septembre 1848.

M. Vaulabelle, ministre actuel de l’instruction publique, s’appelle Quénaille ou Kénaille. Une assonance possible lui a fait quitter ce nom. Son frère, Eléonor Vaulabelle, rédigeait l’Entr’acte et fait des vaudevilles sous le nom de Jules Cordier. Du temps où Rabbe habitait rue des Petits-Augustins, vers 1825, le ministre était clerc de notaire. Rabbe avait tous les soirs dans sa chambre quelques amis poëtes, entre autres Méry et Barthélemy, plus tard Gauja, plus tard Carrel. Le clerc de notaire fit la connaissance de Rabbe au cabinet de lecture de la rue Saint-Benoît et se faufila.

— Que voulez-vous faire ? lui dit Rabbe un jour. — Du notariat. — Faites plutôt de l’histoire, dit Rabbe. Cela se vend. Fabriquez pour Lecointe et Durey, quai des Augustins, quelque résumé de quelque chose. — Ça me va, dit Vaulabelle.

Ceci le fit historien, puis journaliste, puis ministre.




XIII

VIVIEN.


M. Vivien est un de ces hommes qui ne disent que la moitié de leur pensée et n’adoptent que la moitié de la pensée d’autrui, qui ne sont jamais complètement pour ni jamais complètement contre quoi que ce soit, qui sont composés dans une proportion presque égale du oui et du non. Ces hommes-là réussissent. Les philosophes les proclament sages ; les politiques les déclarent modérés ; les penseurs les trouvent médiocres. Or ne sont-ce point là les trois conditions du bonheur : sagesse, modération, médiocrité.




XIV

BLANQUI.


Blanqui en était venu à ce point de ne plus porter de chemise. Il avait sur le corps les mêmes habits depuis douze ans, ses habits de prison, des haillons, qu’il étalait avec un orgueil sombre dans son club. Il ne renouvelait que ses chaussures, et ses gants, qui étaient toujours noirs.