Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/407

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9 octobre.

Pendant qu’on agitait la question de la présidence, Louis Bonaparte s’est absenté de l’Assemblée. Cependant, lorsqu’on a discuté l’amendement d’Antony Thouret et de Ludre qui excluait les membres des familles royales ou impériales, il a reparu. Il s’est assis à l’extrémité de son banc, à côté de son ancien précepteur, M. Vieillard, et il a écouté en silence, tantôt s’accoudant, le menton dans la main, tantôt tordant sa moustache.

Tout à coup, il s’est levé et s’est dirigé lentement vers la tribune, au milieu d’une agitation extraordinaire, une moitié de l’Assemblée criant : Aux voix ! L’autre criant : Parlez !

M. Sarrans était à la tribune. Le président a dit : — M. Sarrans cède la parole à M. Louis Napoléon Bonaparte.

Il n’a dit que quelques mots insignifiants et est redescendu de la tribune au milieu d’un éclat de rire de stupéfaction.




Dans les premiers jours d’octobre il y eut à l’Assemblée constituante un incident singulier et dont le Moniteur ne parla pas. Au milieu d’un orage venu je ne sais plus à quel propos, quelqu’un cria de la Montagne en montrant les bancs de la droite : Vous êtes des royalistes ! Un jeune représentant de la Nièvre qui siège habituellement près de M. Parisis, évêque de Langres, répliqua avec violence : Nous acceptons l’épithète. Immense rumeur sur tous les bancs d’alentour. On cria : Rétractez ! rétractez ! Ce qui aggravait la parole dite, c’est que M. Grangier de la Marinière était un des secrétaires de la rue de Poitiers. M. Edgar Quinet se lève, M. Lacrosse se retourne, l’évêque de Langres s’éloigne, M. Dupont de l’Eure, qui siège sur les mêmes bancs, s’agite et gesticule tout courbé qu’il est par ses quatre-vingts ans. L’orateur qui tenait la tribune s’interrompt. L’Assemblée s’étonne. Toute la droite répète d’une seule voix à M. de la Marinière : Rétractez ! rétractez ! Quelques-uns disent : Expliquez ! M. Grangier de la Marinière, pâle, debout, demande la parole. Mais M. Marrast sent que l’explication sera une aggravation et que le mot lâché est mauvais pour tout le monde. Il refuse la parole à M. Grangier de la Marinière. M. Grangier de la Marinière assiège la tribune et en redescend trois fois au milieu d’un tumulte inexprimable, il crie : — Je veux m’expliquer ! M. Marrast lui répond : — Vous vous expliquerez avec vos voisins.