Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/413

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Selon cette version, le conseil avait été donné dans ces termes précis par MM. Marrast et Recurt au gouvernement. Un représentant (M. Louvet, je crois) ami de M. Freslon, ministre de l’instruction publique, et son ami particulier, crut devoir lui en parler. M. Freslon, au dire des mêmes gens, n’avait point nié et avait répondu : — Oui, l’expédient a été en effet proposé au conseil des ministres qui l’a repoussé avec horreur.

Il était déjà bien grave que des entremetteurs politiques eussent jugé le gouvernement capable d’entendre une pareille ouverture.

Aussi quand, dans la séance du 24, M. Dufaure vint enfin s’expliquer sur ces rumeurs devant l’Assemblée, il eut beau parler avec les raisons d’un homme d’état et l’accent d’un honnête homme, quelque chose demeura dans l’esprit de tous, et l’ombre d’un coup d’état avorté resta sur la figure indécise et sombre de Cavaignac.




Dans les trois jours qui séparèrent la demande d’explication du débat fixé au samedi 25, la Chambre fut agitée et inquiète. Les amis de Cavaignac tremblaient secrètement et essayaient de faire trembler. Ils le sentaient perdu. Ils disaient : — On verra ! — Ils affectaient l’assurance. Jules Favre ayant parlé à la tribune du grand et solennel débat qui allait s’ouvrir, ils éclatèrent de rire. M. Coquerel, le pasteur protestant, rencontrant Cavaignac dans l’avant-salle, lui dit : — Tenez-vous bien, général ! — Moi ! répliqua Cavaignac avec des yeux étincelants, dans un quart d’heure j’aurai balayé ces misérables ! — Ces misérables, c’étaient Lamartine, Garnier-Pagès et Arago. Cependant on doutait d’Arago ; il s’était rapproché de Cavaignac ; on le supposait ébranlé et douteux à cause de l’ambassade de Berlin qu’avait son fils et de la direction des postes qu’avait son frère.

Cavaignac, dans le même moment, donnait la Légion d’honneur à l’évêque de Quimper, l’abbé Graveran, qui l’acceptait. — Une croix pour une voix, disait-on dans l’assemblée. Et l’on riait de ces rôles retournés : un général donnant la croix à un évêque.


25 novembre. En séance.

Nous voici en pleine querelle pour la présidence. Les candidats se montrent le poing. Cavaignac se défend contre Garnier-Pagès. L’Assemblée hue, gronde, murmure, trépigne, écrase l’un, applaudit l’autre.

Cette pauvre Assemblée est une vraie fille à soldats, amoureuse d’un troupier. Pour l’instant, c’est Cavaignac. Qui sera-ce demain ?