Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/454

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jurés avant d’être juges, et se décident comme tous sur leurs impressions morales. Plaide la culpabilité absolue de Cubières. Vote la dégradation civique. Pleure.

Pontécoulant. — La dégradation civique.

Barante. — Croyait qu’il n’aurait qu’à juger des accusés, voit qu’il a à défendre les lois du pays. Les défendra. Beaucoup de phrases. Vote la dégradation civique.

Comte d’Argout. — Pense que le pouvoir discrétionnaire doit être réservé aux cas politiques seulement, et non exercé pour les délits communs. Vote la dégradation civique. Duc Decazes. — Cède à un devoir impérieux. Cela lui est bien pénible. Le remplit avec douleur. Vote la dégradation civique.

Baron Séguier. — Un des avantages du royaume de France, c’est que nous avons une loi invariable. On vous dit que la logique doit influer sur la législation. Hélas ! Grand Dieu ! Mais il y a autant de logiques que d’hommes. Il y a la logique des jansénistes, il y a la logique des jésuites. Il y a Port-Royal, il y a Loyola. Il y a une logique par professeur. Faire varier le code selon la logique, c’est insupportable. À Dieu ne plaise que pareille doctrine l’emporte. La vraie logique, c’est que les hommes doivent porter la peine de leurs sottises (on rit) ; je ne puis qu’appliquer la loi à tous ces gens-là. Autre point. Les circonstances atténuantes ? Mais c’est fait pour les tribunaux d’en bas, pour la cour d’assises, pour les jurés. Non pour vous, la plus haute des justices ! La corruption est un grand crime, c’est le premier crime. Le premier crime est la corruption d’Ève vis-à-vis d’Adam (on rit). Ce crime-là a précédé le fratricide. Ce crime-là a été jugé et puni par un juge qui nous jugera tous. Par celui qui est représenté par un triangle lumineux. Ce juge a été sévère pour Ève et pour Adam (on rit). Soyons sévères pour Cubières. Remarquez même que le premier juge et le premier législateur a été plus sévère pour le corrupteur que pour le corrompu. Il a puni Satan plus qu’Ève, Ève plus qu’Adam (on rit). Je vote la dégradation civique.

Le duc d’Harcourt vient à mon banc et me dit : — Le vieux Séguier n’a plus que deux dadas, l’ancien parlement et son confessionnal. Et puis que pensez-vous de ceux qui copient Portalis et qui se mettent à pleurer en condamnant. Il me semble voir des veaux. J’ai répondu : — Dites des crocodiles.

Comte Molé. — Ne se préoccupe pas de la culpabilité comparée des deux accusés. Veut l’égalité de la peine, qui est la peine naturelle. Vote la dégradation civique. A passé hier toute la soirée à relire toute la correspondance de Cubières avec un désir ardent d’y trouver des circonstances atténuantes. N’en a point trouvé.

Duc de Brissac (petit, bossu, poudré, grand nez aquilin). — L’accusé était au rang le plus élevé de l’échelle sociale. En est plus coupable. Un grand exemple doit être donné. Il doit être donné par ce qu’il y a de plus haut, la Chambre des pairs. Vote la dégradation civique.

M. le Chancelier. — Voudrait ne pas développer son opinion, mais croit qu’il doit à la cour de parler, ayant suivi cette affaire dans tous ses plis et replis. Vote comme son ami M. Portalis. Croit, du reste, les corrupteurs plus dangereux que les corrompus. Veut atteindre les hommes d’argent. L’an dernier, à propos de Joseph Henri, réclamait le respect pour la majesté royale, aujourd’hui réclame le respect pour la majesté de la loi.

Les pairs qui ont réservé leur vote sont appelés.

La dégradation civique est prononcée par 130 voix contre 48. — Avant de suspendre la séance, M. le baron Feutrier se plaint que le secret n’est pas gardé. M. le chancelier fait de nouveau à ce sujet les plus pressantes instances à MM. les pairs.

Au deuxième tour, sur l’application de la peine, j’ai dit sans me lever : — Je dis non quant à la dégradation civique. Je crois l’omnipotence de la cour parfaitement applicable à cette affaire ; la cour le croit comme moi ; elle l’a prouvé en réduisant de moitié, malgré le texte précis et impératif de l’article 177, l’amende infligée au principal accusé. Mais dans le cas présent je n’ai point recours à notre omnipotence. Il n’en est pas besoin. Aujourd’hui comme hier, je me