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Le Journal ouvre l’année 1848, puis cesse brusquement au milieu de la page à la date du 20 février. La révolution fermente, puis éclate.

Un autre journal, tout politique celui-là, est tenu par Victor Hugo sur des feuilles volantes, pendant les années 1848 et 1849. Un dossier spécial est constitué portant le titre Révolution de 1848, faits, pièces, etc. Il ne contient pas seulement des manuscrits de Victor Hugo, mais deux lettres à lui adressées ; la première, datée du 3 mars 1848, est naïve et convaincue, la suscription porte :


Monsieur Victor Hugo
Ex-pair de France.


La voici à titre de document :


Citoyen,

Ma conscience me dicte un devoir que je crois devoir remplir spontanément.

Dans le cas où mes paroles auraient été mal interprétées et auraient donné ou donneraient prise à suspecter un seul instant votre patriotisme, votre dévouement au pays (ce que je ne crois pas possible), car ce n’est pas d’aujourd’hui que date votre amour pour le peuple, je viens relater exactement ce qui s’est passé le 24 février 1848, de 2 à 3 heures.

Je déclare donc que vous vous êtes présenté sur la place de la Bastille, porté en triomphe par les flots du peuple et de la garde nationale, que vous vous êtes placé un moment devant la colonne de Juillet, donnant le bras à deux officiers de la garde nationale.

Prenant alors la parole vous avez annoncé que M. Odilon Barrot avait été appelé au ministère, que des réformes larges allaient être accordées, que satisfaction complète serait donnée aux vœux du peuple, que le roi avait abdiqué, que la régence allait être proclamée. Toutes vos paroles, qu’il m’a été impossible de retenir, respiraient du reste le plus grand patriotisme.

Je vous ai répondu avec le peuple entier qu’il n’était plus temps, que la couronne devait tomber. C’est alors qu’un cri presque unanime : Marchons sur les Tuileries ! s’est fait entendre sur la place de la Bastille.

Aussitôt fait que dit, le peuple en armes, franchissant les barricades, s’est mis à marcher vers les Tuileries.


Je ne recherche pas la publicité, je suis républicain et connu pour tel depuis dix-sept ans, ma déclaration ne peut donc être suspecte, vous en ferez usage si vous le jugez convenable.

Veuillez agréer l’expression de ma considération et me croire votre dévoué citoyen.

Delelou, de Bordeaux,
Hôtel de Tours, place de la Bourse.


L’autre lettre émane d’un chef d’état-major de la légion Pie IX, arrêté arbitrairement, et qui réclame à Victor Hugo aide et secours.

On trouve également dans ce dossier deux feuilletons de l’Assemblée nationale.

Enfin cette note, écrite en mars 1870, sur la chemise d’un dossier de notes :

révolution de 1848.

Tout ceci est à revoir sévèrement.

J’ai écrit ces notes, très consciencieuses du reste, dans les premiers mois de 1848. Les républicains du National[1] régnaient et … J’observais cela dans un étrange état d’esprit, comprenant peu cette révolution et craignant qu’elle ne tuât la liberté. Plus tard, la révolution s’est faite en moi-même ; les hommes ont cessé de me masquer les principes. J’ai compris que Révolution, République et Liberté sont identiques. La Liberté est le principe, la Révolution est le moyen, la République est le résultat.


Cette note explique d’une façon définitive l’évolution politique de Victor Hugo ; comme il le dit ailleurs, il n’est devenu républicain que lorsqu’il a vu la République étranglée et l’empire établi. En 1848, il n’est que spectateur attentif, observant « dans un étrange état d’esprit »

  1. Le bord du papier se trouvant arraché, les trois dernières lettres du titre de ce journal manquent, ainsi que le mot que nous laissons en blanc.