Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/65

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trait, quittait ses bottes, reprenait ses souliers et redevenait civil. La culotte blanche, les bas et les souliers ne servaient jamais qu’un jour. Le lendemain cette défroque impériale appartenait au valet de chambre.




Il est trois heures. Une salve d’artillerie annonce que la cérémonie vient de s’achever aux Invalides. Je rencontre B… Il en sort. La vue du cercueil a produit une émotion inexprimable.

Les paroles dites ont été simples et grandes. M. le prince de Joinville a dit au roi : Sire, je vous présente le corps de l’empereur Napoléon. Le roi a répondu : Je le reçois au nom de la France.

Puis il a dit à Bertrand : Général, déposez sur le cercueil la glorieuse épée de l’empereur. Et à Gourgaud : Général, déposez sur le cercueil le chapeau de l’empereur.

Le Requiem, de Mozart, a fait peu d’effet. Belle musique, déjà ridée. Hélas ! la musique se ride !

Le catafalque n’a été terminé qu’une heure avant l’arrivée du cercueil. B… était dans l’église à huit heures du matin. Elle n’était encore qu’à moitié tendue et les échelles, les outils et les ouvriers l’encombraient. La foule arrivait pendant ce temps-là.

On a essayé de grandes palmes dorées de cinq ou six pieds de haut aux quatre coins du catafalque. Mais, après les avoir posées, on a vu qu’elles faisaient un médiocre effet. On les a ôtées[1].

M. le prince de Joinville, qui n’avait pas vu sa famille depuis six mois, est allé baiser la main de la reine et serrer joyeusement celles de ses frères et sœurs. La reine l’a reçu gravement, sans effusion, en reine plutôt qu’en mère.

Pendant ce temps-là les archevêques, les curés et les prêtres chantaient le Requiescat in pace autour du cercueil de Napoléon.




Le cortège a été beau, mais trop exclusivement militaire, suffisant pour Bonaparte, non pour Napoléon. Tout les corps de l’État eussent dû y figurer, au moins par députations. Du reste, l’incurie du gouvernement a été extrême.

  1. 23 décembre. — Depuis la translation du cercueil, l’église des Invalides est ouverte à la foule qui la visite. Il y passe, chaque jour, cent mille personnes, de dix heures du matin à quatre heures du soir. L’éclairage de la chapelle coûte à l’État 350 francs par jour. M. Duchâtel, ministre de l’intérieur (qui passe pour fils de l’empereur, soit dit en passant), gémit hautement de cette dépense. (Note de Victor Hugo.)