Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/125

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il répéta deux ou trois fois, sans qu’on pût saisir à quoi cette phrase se rapportait :

— Le menuisier qui a fait le double fond est là pour le dire.

— Est-ce là tout ? reprit Cahaigne.

— Oui, dit-il.

Un frémissement accueillit ce mot ; on avait écouté les explications ; elles n’avaient rien expliqué.

— Prenez garde, continua Cahaigne. C’est vous-même qui nous avez dit de vous juger ; nous vous jugeons. Nous pouvons vous condamner.

— Et vous exécuter ! cria une voix.

— Hubert, reprit Cahaigne, vous courez tous les dangers du châtiment. Qui sait ce qui adviendra de vous ? Prenez garde. Désarmez vos juges par un aveu. Nos amis sont dans les mains de Bonaparte, mais vous êtes dans les nôtres. Faites des révélations, éclairez-nous. Aidez-nous à sauver nos amis, ou vous êtes perdu. Parlez.

— C’est vous, dit Hubert en levant la tête, c’est vous qui perdez « nos amis » de Paris en disant leurs noms tout haut comme vous faites, dans une assemblée (et il promena ses yeux sur l’assemblée) « où il y a évidemment des mouchards ». Je n’ai rien de plus à dire.

Cette fois l’explosion recommença, et avec une telle furie, qu’on put craindre un moment qu’elle ne passât des paroles à l’action.

Les cris : À mort ! sortirent de nouveau d’une foule de bouches irritées.

Il y a dans la proscription un cordonnier de Niort, ancien sous-officier d’artillerie, appelé Guay, communiste fanatique, excellent et honnête ouvrier d’ailleurs, homme à la longue barbe noire, au teint pâle, aux yeux enfoncés, à la parole lente, au maintien grave et résolu. Il se leva et dit :

— Citoyens, il paraît qu’on voudrait juger Hubert à mort. Cela m’étonne. Vous oubliez que nous sommes dans un pays qui a des lois. Ces lois, nous ne devons pas les violer, nous ne devons rien tenter qui leur soit contraire. Cependant il faut punir Hubert, d’une part, pour le passé, et, d’autre part, pour l’avenir, lui imprimer un stigmate ineffaçable. Donc, afin de ne rien faire en dehors de ce qui est permis par les lois, voici ce que je propose : — Nous allons saisir Hubert et lui raser les cheveux et les moustaches, et, comme les cheveux et les moustaches repoussent, lui couper un centimètre de l’oreille droite. Les oreilles ne repoussent pas.

Cette proposition, énoncée du ton le plus grave et de l’accent le plus convaincu, s’acheva dans ce lugubre éclat de rire qui revenait par instants et qui se mêlait, comme une horreur de plus, à la terreur de la scène.

Près de Guay, à l’entrée du deuxième compartiment, à côté du docteur Barbier, était assis un proscrit nommé Avias.